Depuis des mois, Sanna Marin, 36 ans, prépare son pays à la guerre. C’est à cette Première ministre sociale-démocrate, au pouvoir depuis 2019, qu’est revenue la difficile décision d’abandonner la neutralité de la Finlande – tout comme la Suède voisine – pour rejoindre l’OTAN, la puissante alliance militaire occidentale dominée par les Etats-Unis.
Mais c’est une autre Sanna que des milliers d’internautes, pour l’essentiel des femmes, soutiennent ces jours-ci en postant leurs images festives sur les réseaux sociaux. Le hashtag #SannaMarin fait fureur. Une partie de la population féminine scandinave l’a transformé en cri de ralliement pour dire qu’une responsable politique peut continuer de vivre, mais aussi que l’Europe ne doit pas abandonner le sens de la fête, même dans les pires moments.
Pilonnage de remontrances
Le pilonnage s’annonçait pourtant sévère et meurtrier. Et il se poursuit avec des reproches sur l’utilisation de sa limousine de fonction pour se déplacer ce soir-là, où la présence dans la soirée de ses officiers de sécurité. Dès la publication, par la presse finlandaise, de vidéos montrant la cheffe du gouvernement (célibataire et élevée par un couple homosexuel) en train de s’éclater dans une soirée, déhanchements et alcool à l’appui, les réseaux sociaux avaient, de fait, pris l’allure d’un tribunal.
Samedi, Sanna Marin a même dû annoncer qu’elle avait fait un test de dépistage de drogue, affirmant qu’elle n’a jamais pris de stupéfiants, tout en revendiquant le droit de boire et de danser malgré les lourdes responsabilités qu’elle porte sur ses épaules.
La Finlande, frontalière de la Russie, avait été attaquée en 1939 par l’ex-URSS. Son armée résista avec vaillance. Puis le pays a opté pour la neutralité, et la plus grande prudence politique à l’égard de Moscou, jusqu’à la décision de Vladimir Poutine de déclencher la guerre en Ukraine.
Dépistage de drogue en cours
Le résultat du dépistage est imminent. La Première ministre, chérie des paparazzis locaux et européens, dit n’avoir aucune inquiétude à ce sujet. Mieux: la voilà en train de transformer cette tempête en superbe coup politique. Plaidoyer pour l’engagement des femmes jeunes et célibataires dans la vie publique. Affirmation du droit des personnalités politiques à faire la fête.
Les finlandaises pro-Sanna se déchainent. Certaines sont cheffes d’entreprises. D’autres policières. D’autres fonctionnaires. Et l’incendie se propage en Europe. Journalistes, universitaires, cadres, étudiantes… Sanna est devenue une idole. Comme si nos démocraties, que la Russie de Poutine rêve d’étrangler, avaient aussi décidé de résister sur le dancefloor.
Contraste saisissant avec Angela Merkel
Le contraste ne pouvait pas être plus saisissant. Avant la guerre, la référence politique européenne était… Angela Merkel. Voici quelques semaines, le président Français Emmanuel Macron a choisi une femme austère, haut fonctionnaire de carrière, Elisabeth Borne, pour diriger le gouvernement. Sanna Marin, tout comme la Première ministre Estonienne Kaja Kallas (récompensée cette année, en marge du festival de Locarno par le prix européen de la culture de la Fondation Hans Ringier), incarne la relève féminine venue du nord.
La presse italienne en a d’ailleurs profité pour avertir la favorite nationale populiste des sondages Giorgia Meloni, un mois avant les législatives du 25 septembre dans la péninsule: «Même en Scandinavie, bien plus avancée, la différence homme/femme reste la règle. Il nous faudra donc encore attendre pour qu’un Premier ministre féminin se voie accorder ce qui est normal pour un Premier ministre masculin.»
Ce qui est normal? «Avoir une vie, avoir des goûts correspondant à son âge et pas forcément standardisés selon le seul modèle féminin qui ne suscite pas de commentaires venimeux: une femme imaginaire angélique, asexuée, boutonneuse. Quelque part entre la reine Elizabeth et Mère Teresa de Calcutta!».
Sacrée Sanna!
Sacrée Sanna, dont le parcours familial a, en plus, tout du symbole. Partie de rien avec ses deux «mamans», la jeune femme a enchainé les boulots normaux avant d’entrer en politique et de ravir la mise dans un pays où l’extrême droite, représentée par le parti des «Vrais Finlandais», fait 15% des voix.
#SannaMarin. ou la revanche d’une Europe capable d’assumer ses libertés face à tous ceux qui veulent éteindre les lumières, au sens propre comme au sens figuré? Il reste à la Première ministre finlandaise à réussir l’ultime prouesse: rassembler autour d’elle un aréopage de femmes politiques européennes pour danser à l’unisson. Les conseillères fédérales Karin Keller-Sutter, Simonetta Sommaruga et Viola Amherd sont-elles prêtes à descendre sur le dance floor en solidarité? Sans pour autant, bien sûr, abandonner la neutralité Suisse…