Editorialiste au respecté quotidien «La Repubblica», Guido Crainz dénonce depuis longtemps les promesses électorales de Giorgia Meloni, qu’il qualifie de «tristes et dangereuses lubies d’extrême droite». Dans l’un de ses derniers entretiens, publié ce week-end, un mois avant les élections législatives dans la péninsule, l’essayiste va toutefois plus loin.
Une catastrophe pour l’Italie?
Si les résultats des urnes sont, dimanche 25 septembre, conformes aux sondages, la victoire du parti «Fratelli d’Italia» serait selon lui une catastrophe pour l’Italie et l’Union européenne. «Le vote italien risque de saborder l’Europe au moment où nous en avons le plus besoin, a-t-il expliqué à plusieurs correspondants étrangers en poste à Rome. Les références politiques de Meloni sont Almirante et Orban. On se demande comment les Italiens peuvent ne pas avoir saisi les risques de son éventuelle accession au pouvoir.»
Que l’actuel Premier ministre hongrois Viktor Orban, en conflit ouvert avec la Commission européenne sur le respect de l’Etat de droit, soit méconnu des Italiens est envisageable. Impossible, en revanche, d’ignorer la personnalité de Giorgio Almirante. Décédé en 1988, celui-ci était l’héritier direct de la République de Salo, le régime fantoche reconstitué par Mussolini en 1943, après sa libération par des parachutistes nazis venus le récupérer à Rome où il avait été arrêté.
L’héritage politique fasciste
Devenu après la guerre le principal leader d’extrême droite, ouvertement nostalgique du fascisme de Benito Mussolini (1883-1945), Almirante fut le père du Mouvement Social Italien (MSI) et l’inspirateur présumé de plusieurs attentats contre des personnalités de gauche dans les années 70-80. Son épouse, Assunta Almirante, décédée à 100 ans le 26 avril 2022, était surnommée «la veuve noire du fascisme italien».
La filiation politique revendiquée par Giorgia Meloni, 45 ans, est donc limpide. C’est dans le régime dictatorial, national et populiste du Duce que cette ancienne journaliste, député depuis 2006, puise ses racines. Même si tous ses efforts, aujourd’hui, visent à gommer publiquement cette filiation.
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Le repoussoir Salvini
Et pour gommer cet héritage, rien de tel que le repoussoir Matteo Salvini. Il y a quatre ans, lors des législatives de mars 2018, un moment de fièvre européen avait entouré l’arrivée du leader de la Lega au gouvernement, comme ministre de l’Intérieur. Celui-ci visait alors la présidence du conseil Italien, proposant de «foutre à la mer» 600'000 migrants, fustigeant l’hypocrisie Macron «l’européiste hors-sol» ou qualifiant l’euro de «crime contre l’humanité».
Pas d’attaques de ce genre aujourd’hui pour Giorgia Meloni, créditée de 25% des intentions de vote. Celle qui s’est emparée de la pole position au sein de l’extrême-droite italienne a su profiter à plein des faux pas de Salvini. Tout comme Marine Le Pen a su profiter en France des provocations d'Eric Zemmour, l’intéressée a compris qu’il lui faut séduire davantage au centre. Pas question donc de tomber dans les ornières de la défiance et de la provocation.
Le leader de la «Lega» avait, en août 2019, lassé une partie de l’opinion avec sa tournée des plages, bravache, torse nu au milieu des vacanciers. Les liens de Matteo Salvini avec la Russie de Poutine ont ensuite détérioré son image, sur fond de guerre en Ukraine. Ils ont d’ailleurs refait surface lors de sa visite controversée à la frontière polonaise début mars 2022, puis lorsque le quotidien «La Stampa» l’a accusé début août d’avoir rencontré des diplomates Russes, laissant planer l’ombre d’une implication de Moscou dans la chute du gouvernement de l’ex-patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi, démissionnaire le 21 juillet.
L’ordre et la sécurité, le terrain de Meloni
Giorgia Meloni, elle, est revenue aux fondamentaux de l’extrême-droite italienne, à savoir l’ordre et la sécurité, avec force caricatures et polémiques. Elle n’a ainsi pas hésité à rediffuser sur les réseaux sociaux une vidéo d’une femme ukrainienne violée par un demandeur d’asile en Emilie Romagne (Nord).
A l’inverse, son opposition frontale à l’Union européenne comme construction politique est devenue moins radicale, officiellement du moins. Celle qui préside le parti des Conservateurs et réformistes européens (ECR) (qui regroupe au Parlement européen les conservateurs polonais et les élus de la droite dure italienne) a, de facto, copié la française Marine Le Pen. Pas question, durant cette campagne électorale, d’envisager la sortie de l’Italie de l’Union: «Le modèle réalisable est une Europe confédérale, pas un super-Etat mais une Europe qui fait quelque chose importantes et qui les fait bien […] Je suis pour la troisième voie. L’Europe des patries n’est pas une hérésie, De Gaulle y croyait déjà.» Tout en promettant, si elle arrive au pouvoir, de respecter les règles européennes et de ne pas creuser davantage la dette publique qui atteint déjà le niveau record de 147% du Produit intérieur brut du pays.
Le mauvais rêve italien de Bruxelles
Là réside aujourd’hui le mauvais rêve italien de Bruxelles: voir l’emporter à Rome une femme populaire, recentrée sur les thématiques sociales, en apparence moins extrémiste que Salvini et avec laquelle il pourrait être in fine beaucoup plus difficile de négocier.
L’analyste français Bernard Spitz complète la comparaison avec Marine Le Pen: «Toutes deux sont confrontées à la même contradiction entre un discours de réduction des impôts et des promesses sociales non financées. Un plan qui ne peut que provoquer des déficits abyssaux, inacceptables pour l’Union et l’Allemagne, premier financeur du plan de soutien européen à l’Italie, argumente-t-il. Pourtant loin d’inquiéter, ce programme séduit l’électorat italien. Sans doute parce que depuis qu’il a constaté qu’on a trouvé les introuvables milliards d’euros nécessaires pour compenser hier la pandémie, aujourd’hui l’inflation, il n’écoute plus les messages économiques alarmistes.»
Une posture atlantiste
Autre particularité de Giorgia Meloni: sa posture atlantiste, pro-américaine et pro-Ukraine, au point que le quotidien Russe «La Pravda» l’a récemment accusée «d’avoir choisi la voie de l’abîme» pour son soutien à l’Ukraine et sa promesse de ne pas remettre en cause la solidarité de l’Italien au sein de l’OTAN, dont le QG Méditerranée se trouve à Naples.
«Salvini avait endossé le costume de l’Italien vantard qui promettait de faire trembler l’Europe avec le soutien de Moscou. Ce n’était pas crédible. Le piège Meloni est bien plus redoutable, car il ne se présente pas comme un défi idéologique, mais social. C’est là où elle diffère, pour le moment, du Hongrois Viktor Orban», concède un ambassadeur européen.
Le double défi pour l’Union européenne
Le programme de l’alliance des droites comporte d’importantes réductions d’impôts et de taxes, une baisse de l’âge de la retraite et une amnistie fiscale. Bref, tout ce qui peut faire dérailler les marchés financiers à l’heure où l’euro ne cesse de perdre du terrain face au dollar.
Si dans un mois, le mauvais rêve italien se matérialise, le défi pour l’Union européenne sera double. Il lui faudra, d’une part, éteindre l’incendie financier que le dérapage de la troisième économie de la zone euro pourrait déclencher. Et affronter, d’autre part, en cas de victoire de «Fratelli d’Italia» aux législatives, le risque d’un «effet Meloni» qui relancerait le national populisme et les fractures au sein des 27, dans cette période de tensions géopolitiques maximales engendrées par les pénuries annoncées de gaz et d’énergie.