Deux heures et sept minutes: c'est la durée de ce qui est certainement l'interview télévisée la plus confuse de ces dernières années. Acteurs principaux: le maître du Kremlin Vladimir Poutine et son invité américain, l'ancienne star de «Fox News», aujourd'hui journaliste de télévision indépendant, Tucker Carlson.
Lors de la première interview avec un représentant des médias occidentaux depuis le début de la guerre, le président russe a certes fait preuve d'une grande franchise, mais le monologue du chef de guerre moscovite n'était guère divertissant. Il en demeure cependant cinq conclusions choquantes.
Poutine est un ronfleur
Ennuyeux! La leçon d'histoire du président russe, présentée de manière erratique et confuse, ne mérite pas d'autre qualificatif. Sa réponse à la première question de Tucker Carlson a duré 27 minutes, ce dernier s'étant lui-même déclaré «choqué» par le verbiage de Poutine dans sa présentation de l'interview enregistrée a posteriori. Le Russe entend fournir «un peu de contexte historique» pour ensuite disserter sur un souverain du 9e siècle, les princes de Kiev et les vieux deals moscovites. Tucker Carlson tient bon, essaie de creuser. Mais Poutine continue de bavarder sans être dérangé.
Une tentative d'endormissement? Peut-être. On aurait attendu du chef de la Russie, supposée être une puissance de propagande flagrante, qu'il fasse preuve d'égard vis-à-vis de la capacité de concentration de son public.
Mais une chose est claire dès le début de l'entretien: dans sa guerre contre l'Ukraine, Poutine ne se préoccupe pas vraiment d'intérêts sécuritaires sérieux. Il ne se sent pas réellement menacé. Il argumente pour des raisons historiques et nationalistes en faveur d'une «réunification» de tout ce qui n'a jamais vraiment été uni.
Tout est la faute de Bill Clinton?
Ce n'est pas une blague: après exactement 31 minutes, Vladimir Poutine ramène l'ancien président américain démocrate dans la discussion et affirme que c'est lui qui a mis un terme au rapprochement prévu entre la Russie et l'OTAN. La Russie aurait été intéressée par une adhésion à l'OTAN au début du millénaire. «Nous aurions pu emprunter une voie commune», affirme Poutine. Mais Bill Clinton lui aurait clairement signifié que cela n'arriverait pas de sitôt.
Par le passé, l'Occident aurait déjà repoussé les avances russes. Par exemple lorsque la Russie s'est battue pour un système de défense antimissile commun avec les Américains et l'Europe. «L'Occident n'en voulait pas. Nous avons désormais une longueur d'avance sur tout le monde en matière de développement de missiles hypersoniques à longue portée», a menacé Poutine.
La vision de l'OTAN qui «s'étendrait» jusqu'aux frontières russes n'a bien sûr pas manqué. Le chef du Kremlin a toutefois omis de préciser que l'OTAN n'est pas une construction tentaculaire, mais qu'il s'agit d'Etats-nations souverains qui souhaitent adhérer à l'alliance de leur plein gré.
La guerre durera encore longtemps
«Nous nous battrons jusqu'au bout», a fait savoir Vladimir Poutine en faisant référence aux combats qui font rage en Ukraine. Les négociations ont échoué. Et tant que l'Amérique et d'autres pays occidentaux livreront des armes à l'Ukraine, «l'action militaire spéciale» (Poutine s'en tient à cet euphémisme) se poursuivra. Son pays est en principe prêt à négocier, a déclaré le chef du Kremlin. Et il est certain qu'après de nouvelles mobilisations de masse et en raison de la crise politique qui s'aggrave dans le pays, le gouvernement ukrainien sera bientôt contraint de négocier. Il ne peut y avoir d'autre issue, a-t-il ajouté. «La Russie ne peut pas être vaincue stratégiquement sur le champ de bataille.»
On le sait, Volodymyr Zelensky et son gouvernement ne voient pas les choses de la même manière. Le président ukrainien a catégoriquement exclu toute négociation avec la Russie. Une fin prochaine de la guerre n'est pas en vue.
Les stratégies de Tucker Carlson n'ont pas fonctionné
La star de la télévision américaine, malgré toutes ses casseroles, a de l'audace. Se rendre maintenant à Moscou et faire face à Poutine n'est pas chose facile. Et pendant de longues minutes, Tucker Carlson a semblé s'efforcer sérieusement d'arracher quelques promesses à un Poutine très bavard.
Mais par à-coups, les intentions peu reluisantes du théoricien du complot ont éclaté au grand jour. Par exemple lorsqu'il a tenté de faire porter à Kamala Harris la responsabilité de la guerre en Ukraine par une question suggestive. Tucker Carlson a voulu savoir si ce n'était pas la vice-présidente américaine qui avait fourni la «provocation décisive» pour la guerre en promettant à Volodymyr Zelensky d'adhérer à l'OTAN il y a environ deux ans. Vladimir Poutine a ignoré la question.
Tout comme celle sur les «véritables centres de pouvoir» des Etats-Unis, que Tucker Carlson ne soupçonne pas à la Maison Blanche, mais dans le «deep state» conspirateur (c'est-à-dire l'état-major opaque des fonctionnaires). Le chef du Kremlin a fait signe que non et a simplement affirmé qu'il ne comprenait pas vraiment le système compliqué des Etats-Unis.
Tucker Carlson n'a pas obtenu les coups de pouce qu'il espérait pour ses émissions.
Evan Gershkovich n'est pas près d'être libéré
Le journaliste de 33 ans qui couvrait la Russie pour le «Wallstreet Journal» et qui a été arrêté début 2023 à Moscou pour espionnage présumé devra prendre son mal en patience. La fin de l'interview approchant, Tucker Carlson a demandé avec insistance si Poutine n'était pas prêt à libérer le reporter, manifestement emprisonné pour des accusations fabriquées de toutes pièces, et à le renvoyer avec lui, aux Etats-Unis.
Vladimir Poutine a clairement fait savoir qu'il ne l'envisagerait que si l'Allemagne libérait l'espion russe Vadim Krassikov, connu pour avoir tué un ancien commandant tchétchène au Tiergarten de Berlin en 2019. Le meurtrier a été condamné à la prison à vie par un tribunal allemand. L'Allemagne ne le libérera pas. Et Evan Gershkovich risque de devoir rester dans les geôles russes.
Mais Tucker Carlson a essayé – en demandant plusieurs fois. S'il a réussi à faire démarrer un processus à l'issue duquel le journaliste américain innocent sera libéré, ces deux heures et sept minutes de confusion en auront finalement valu la peine.