Après les chars et les bombes, une gigantesque inondation: l’explosion du barrage de Kakhovka donne une nouvelle dimension à la guerre en Ukraine. Des milliards de litres d’eau descendent le Dniepr en direction de la mer Noire. Outre la ville de Kherson, près de 80 autres localités sont menacées par les eaux.
Kiev et Moscou se tiennent mutuellement responsables de la destruction de l’édifice. Certains spéculent sur le fait que le barrage pourrait avoir cédé en raison d’un mauvais entretien. Pour l’instant, il n’y a aucune certitude.
Les inondations ne représentent qu’une des conséquences néfastes. Le lac de barrage – qui contenait près de cinq fois le contenu du lac de Zurich – approvisionne une grande région en eau potable et pour l’agriculture, notamment des fruits et du riz. Il est également important pour la pêche et la navigation. Il fournit en outre de l’eau pour une centrale hydroélectrique, aujourd’hui détruite, et de l’eau de refroidissement pour la centrale nucléaire de Zaporijia.
Les observateurs estiment que la Russie est responsable de la rupture du barrage, à l’instar de Gerhard Mangott, expert en Russie et en sécurité à l’université d’Innsbruck en Autriche. «L’intention pourrait être d’empêcher une avancée des Ukrainiens sur le Dniepr pendant des semaines», analyse-t-il. Les Russes pourraient ainsi réduire leur ligne de défense à cet endroit et se concentrer sur d’autres régions où les combats font rage depuis la contre-offensive ukrainienne.
État d’urgence chez les Russes
En faisant sauter le barrage, les Russes se tirent toutefois une balle dans le pied. Car l’inondation touche tout autant, si ce n’est plus, la rive sud du fleuve occupée par les Russes. Selon Vladimir Leontiev, le maire de Nova Kakhovka nommé par la Russie, 600 maisons de trois localités ont été touchées dans les premières heures suivant l’explosion. Les occupants russes ont déclaré l’état d’urgence.
La destruction du barrage devrait également avoir des répercussions sur l’approvisionnement des territoires occupés, notamment de la Crimée, où l’eau potable est rare. Jusqu’en 2014, le barrage de Kakhovka fournissait 85% de l’eau à la péninsule via le canal de Crimée du Nord, long de 400 kilomètres.
Après l’annexion de la Crimée en 2014, les Ukrainiens ont construit un barrage sur le canal afin de couper l’approvisionnement en eau de la péninsule. Mais peu après le début de l’invasion en 2022, les Russes ont fait sauter cette barrière.
«La péninsule de Crimée pourrait être privée d’eau pendant de nombreuses années», a déclaré à CNN Mykhaïlo Podoliak, proche du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Il a qualifié l’incident de «catastrophe écologique mondiale». Plusieurs écosystèmes et de nombreuses espèces animales seraient menacés. Même Vladimir Leontiev a admis à la télévision d’État russe que la Crimée pourrait désormais connaître des problèmes d’approvisionnement.
Crainte d’une catastrophe nucléaire
Le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia, occupée par les Russes, serait également affecté en cas de pénurie d’eau. Dans le scénario le plus extrême, un accident nucléaire pourrait se produire. Mais mardi, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a indiqué qu’il n’y avait «aucun risque immédiat pour la sécurité nucléaire de la centrale».
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a estimé mardi que l’attaque contre le barrage de Kakhovka donnait à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine une «nouvelle dimension». Le président du Conseil de l’Union européenne, Charles Michel, parle d’un «crime de guerre». Quant au chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg, il estime qu’il s’agit d'«un acte monstrueux qui démontre une fois de plus la brutalité de la guerre de la Russie en Ukraine».