L'audience s'est tenue dans un tribunal étroitement gardé, spécialement mis en place dans la capitale Naypyidaw.
Interpellée au matin du 1er février et assignée depuis à résidence, la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 — «en bonne santé malgré un mal de dents», selon ses avocats — fait face à des poursuites judiciaires hétéroclites.
Ce lundi, elle a commencé à être jugée pour importation illégale de talkies-walkies, non-respect des restrictions liées au coronavirus et violation d'une loi sur les télécommunications. Plusieurs témoins dépêchés par l'accusation ont été entendus et les auditions vont se poursuivre mardi, a indiqué à l'AFP l'une de ses avocates, Min Min Soe.
Deux procès
Un autre procès pour sédition doit débuter mardi dans lequel elle comparaîtra aux côtés de l'ex-président de la République Win Myint.
L'ex-cheffe (de facto) du gouvernement, âgée de 75 ans, est également inculpée pour avoir violé une loi sur les secrets d'Etat datant de l'époque coloniale et pour corruption, accusée d'avoir perçu plus d'un demi-million de dollars et une dizaine de kilos d'or de pots-de-vin. Aucune date de procès n'a été avancée à ce stade pour ces deux charges, les plus lourdes à son encontre.
Aung San Suu Kyi n'a pas pu encore se défendre devant le tribunal, mais «elle semble bien décidée à faire valoir ses droits, quels que soient les résultats», a commenté un de ses avocats Khin Maung Zaw, qui dit tout de même «se préparer au pire», dénonçant des accusations «absurdes».
L'ex-dirigeante encourt de longues années de prison si elle est reconnue coupable.
«Déterminé à l'enfermer pour le reste de sa vie»
Le chef de la junte «Min Aung Hlaing est déterminé à l'enfermer pour le reste de sa vie», a déploré à l'AFP Debbie Stothard, coordinatrice du réseau Alternative ASEAN. On assiste à «une procédure spectacle uniquement motivée par des raisons politiques».
«Ce procès est manifestement la première salve d'une stratégie globale visant à (la) neutraliser», a renchéri Phil Robertson chez Human Rights Watch.
Depuis son arrestation, «la dame de Rangoun» n'a été autorisée à rencontrer que trois fois l'équipe chargée de la défendre et chaque réunion a été brève.
Pour justifier son passage en force, l'armée a allégué des fraudes «énormes» aux législatives de novembre 2020, remportées massivement par le parti d'Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie.
La Birmanie en ébullition
Manifestations quasi-quotidiennes, économie paralysée par des grèves massives, recrudescence des affrontements entre armée et factions ethniques rebelles: la Birmanie est en ébullition depuis le putsch qui a mis fin à une parenthèse démocratique de 10 ans.
Le mouvement de contestation est réprimé dans le sang par les forces de sécurité qui ont tué ces derniers mois plus de 860 civils, dont des femmes et des enfants, selon l'Association d'assistance aux prisonniers politiques (AAPP).
Près de 5.000 personnes ont été placées en détention, des ONG dénonçant des cas d'exécutions extra-judiciaires, de tortures ou de violences envers les femmes. Un reporter américain, Nathan Maung, arrêté en mars, a été libéré ce lundi, d'après son avocat. Mais plusieurs journalistes restent derrière les barreaux.
La responsable des droits humains aux Nations unies, Michelle Bachelet, a déploré vendredi l'intensification des violences, ajoutant que la junte était «entièrement responsable de cette crise».
Icône ternie à cause des rohingyas
Aung San Suu Kyi a déjà passé plus de 15 ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires, avant d'être libérée en 2010 et de prendre cinq ans plus tard la tête du pays.
Longtemps icône de la démocratie comparée à Nelson Mandela, Gandhi ou Martin Luther King, son image s'est considérablement ternie ces dernières années à la suite du drame des musulmans rohingyas qui ont fui en 2017 par centaines de milliers les exactions de l'armée pour se réfugier au Bangladesh voisin.
Le fait qu'elle soit redevenue une prisonnière politique et les procès qui l'attendent pourraient de nouveau changer la donne.
(ATS)