Vous ne connaissez pas Mayotte? Vous vous demandez pourquoi cette île de 374 km2 perdue dans l’océan Indien, au nord de Madagascar, est si importante pour la France, dont elle est depuis 2007 le 101ème département ? Vous ne comprenez pas pourquoi Paris vient d’y dépêcher à nouveau des forces de l’ordre pour lutter contre le chaos et les bandes criminelles qui ont pris le contrôle d’une partie de Mamoudzou, sa capitale? Alors attardez-vous un peu sur le sort de cette île tropicale aux plages de sable brun ou blanc. Laquelle, si elle était pacifiée et qu’elle n’était pas couverte de bidonvilles, pourrait être paradisiaque…
Pas d’essais nucléaires ni de base militaire
Quelques questions de base, d’abord, pour essayer de comprendre. Ce département français situé à huit mille kilomètres de Paris abrite-t-il, comme jadis la Polynésie, une base d’essais nucléaires? Non. Constitue-t-il, comme l’île de Diego Garcia pour l’armée américaine, une forteresse au cœur de l’océan Indien? Non. Mayotte, enfin, abrite-t-elle des terres rares ou des ressources qui justifient d’y conserver le drapeau de la République, bafoué par de jeunes voyous qui prennent sa population en otage? Non.
Je continue? La réponse sur la présence de la France sur cet ex-confetti de son empire, au sud de cette autre île française qu’est la Réunion est… la démocratie et la République. Vous avez bien lu. Le 8 février 1976, 99% des Mahorais (le nom de ses habitants) ont voté pour demeurer français alors que les trois autres îles de l’archipel des Comores proclamaient, elles, leur indépendance.
Voilà donc la France obligée depuis quarante ans de gérer un territoire ingérable, puisque culturellement, linguistiquement, économiquement rattaché au reste de l’archipel. Côté français ? La sécurité sociale, des maternités, bref, un semblant d’ordre et d’assistance, renforcé encore plus depuis quinze ans par une départementalisation qui a fait disparaitre sa spécificité administrative de territoire d'Outre-mer. Du côté des Comores, îles frappées en plus par les menaces du réchauffement climatique ? Une seule issue pour sa jeunesse: l’exode. Avec Mayotte pour première escale.
Une tragédie insulaire ordinaire
La toile de fond de ce naufrage insulaire est juste une tragédie ordinaire. La tragédie de pays sortis broyés par la colonisation, et incapables de reprendre pied dans la modernité, sauf en se vendant au plus offrant, comme la Chine, ou en envoyant leurs jeunes sur des canots, au péril de leur vie. La preuve? L’immense chaos voisin de Madagascar, dont les terres parmi les plus riches et les plus fertiles au monde sont achetées à grande échelle par les Chinois.
Ce qui se passe à Mayotte, ce confetti français, est donc bien plus qu’une crise sociale ponctuelle dans laquelle sont englués les 300'000 habitants de ce rocher couvert de palmiers. Elle pose une question simple, mais insoluble: comment la France peut-elle, en 2022, gérer une frontière si lointaine, y déverser des milliards indispensables, y exercer sa puissance en «Indopacifique», cette région qu’Emmanuel Macron a fixé comme priorité pour son pays lors des récents sommets du G20 en Indonésie et de l’APEC en Thaïlande?
Paris n’a pas la solution
La réponse est que Paris n’a pas la solution. A Mayotte, la France est, de facto, devant le miroir de son impuissance. Trop loin. Trop cher. Trop impossible face aux flux migratoires que la montée des eaux, à cause du réchauffement, va immanquablement provoquer.
Dans les années 80, lorsque l’archipel des Comores venait juste d’accéder à l’indépendance, Paris avait trouvé un moyen d’y maintenir l’ordre en laissant son vieux mercenaire de la Francafrique Bod Denard en prendre le contrôle, recolonisant de facto ces îles pendant dix ans.
La réalité? Les services secrets français avaient inventé une sorte de milice Wagner d’aujourd’hui (cette garde prétorienne russe qui sévit en Syrie, au Mali…) à leur profit, pour tenir les Comores! Puis Denard a été exfiltré en 1989, et tout s’est étiolé. Au point d’en arriver à Mayotte, prisonnière de son destin et de sa fidélité républicaine, à une recrudescence des bidonvilles, des trafics, et à un chaudron social impossible à éteindre.
Pas d’horizon pour la population
Mayotte est une tragédie insulaire. Une tragédie aussi pour une France qui, sauf à mobiliser ses partenaires européens pour la défense mutuelle de sa présence outre-mer, y épuise une partie de ses ressources sans dessiner de véritable horizon pour une population poussée à la révolte.
Regardez bien la carte de l’océan Indien. Il n’y a pas, dans cette partie du monde, que des paradis touristiques tels que les Seychelles ou l’île Maurice. Il s’y joue aussi une bataille pour la puissance, sur le flanc oriental de l’Afrique. Mayotte dit l’impuissance de la France. Et le pire, pour les Européens, serait de s’en réjouir.