Ces deux rapports désignent des plaies que personne, pour l’heure, ne semble capable de soigner. Ils disent les maux sociaux de la France de 2022. Le 17 novembre, le Secours Catholique a, le premier, tiré le signal d’alarme dans son «État de la pauvreté en France». Ce mardi 22 novembre, l’Institut national de la statistique (INSEE) a complété l’inquiétant tableau dans son «portrait social 2022».
Accrochez-vous à la lecture de ces deux enquêtes, car elles font mal à ceux qui s’intéressent à ce pays voisin que nous connaissons si bien. Pourquoi? Parce que la pauvreté n’y est plus une menace. Elle est une réalité que la pandémie de Covid-19 en 2020-2021 a transformée en couvercle de silence et de honte. Entre 3,2 et 3,5 millions de personnes avaient recours à l’aide alimentaire fin 2021 selon l’INSEE. Lequel estime à près de deux millions le nombre de personnes en situation de grande pauvreté.
Un état des lieux très douloureux
Attention: cet état des lieux très douloureux ne signifie pas que le pays s’est appauvri. Encore moins que tous ses habitants sont pauvres. La France – rappelons-le pour éviter toute simplification – compte aussi, à l’autre bout de son échelle sociale, 43 milliardaires.
Mieux: leur fortune, estimée à 550 milliards d’euros par le magazine Forbes, a augmenté de 7% durant cette même année 2021. Restent les évidences problématiques dévoilées par le Secours Catholique et l’Insee.
Retrouvez Richard Werly dans C ce Soir sur France 5
Pour l’organisation d’entraide liée à l’Église, «les crises mettent la cohésion de nos sociétés à l’épreuve. Car malgré les aides publiques qui ont pu atténuer le choc, les situations de grande pauvreté perdurent et mettent à mal notre devise républicaine. Elles dénient l’égalité fondamentale entre êtres humains, censée se traduire en droits, mais aussi en fait, en tenant l’engagement inscrit dans notre Constitution d’offrir à chacun «des conditions convenables d’existence. Elles rendent difficile la fraternité, qui ne saurait se fonder sur de telles injustices».
La frange «la plus pauvre des plus pauvres»
Pour l’Insee, les demandeurs d’aide alimentaire constituent la frange «la plus pauvre des pauvres». Avec un niveau de vie moyen de 637 euros – un tiers du revenu médian – ils forment une blessure sociale face à laquelle les dispositifs publics échouent.
Près de 5% des personnes ayant besoin d’aide pour se nourrir sont au-dessus du seuil de pauvreté. Alors que, dans leur écrasante majorité, (86%) ces personnes ont un logement, ou sont hébergées par des proches. Chiffre assuré de susciter la polémique, les immigrés constituent près de la moitié des bénéficiaires de l’aide alimentaire. Alors qu’ils représentent environ 10% de la population.
Cette précarité croissante se résume dans un phénomène: la prolifération des colis à provisions, constitués par les banques alimentaires à partir des invendus des supermarchés ou à partir des dons d’entreprises. Ils représentent, selon l’INSEE, 71% des aides alimentaires. Lesquelles ne bénéficient pas seulement aux personnes en situation de pauvreté.
Exemple: le dénuement de milliers d’étudiants précaires. Le quotidien «Le Parisien» y a consacré un long reportage le 18 novembre. L’on y voit les photos d’une longue file de jeunes, rue des Haies dans le nord de Paris, en train d’attendre une distribution de colis. Sept à huit kilos de fruits et légumes, de plats cuisinés, de viennoiseries, des pâtes, du riz, des lentilles et autres denrées récupérées par Linkee, une association caritative.
Cette jeunesse estudiantine en mal de nourriture en dit long sur la paupérisation d’une partie de la population de la capitale française. Selon la mairie de Paris, 30’000 équivalents repas sont distribués chaque semaine à des étudiants.
Moins de 1102 euros par mois pour une personne seule
D’après d’autres chiffres de l’Insee, la France métropolitaine comptait en 2020 environ 9,2 millions de personnes, soit 14,6% de la population, en situation de pauvreté monétaire en 2019, c’est-à-dire vivant avec moins de 1102 euros par mois pour une personne seule.
Une réalité que le Secours Catholique traduit en termes plus directs: «Une fois l’ensemble des factures payées, un ménage sur deux de l’étude disposait de moins de 295 euros par mois et par unité de consommation (UC) pour couvrir l’ensemble des autres dépenses de la vie courante. Le quart le plus pauvre des ménages accueillis pour la première fois au Secours Catholique avait un niveau de vie arbitrable inférieur à 100 euros par mois, deux ans après la crise, soit une perte de 35 euros par rapport à la situation d’avant crise.»
Grave? Conjoncturel? Une conséquence de la pandémie? Les trois pour le Secours Catholique. «Le taux de pauvreté ne rend compte que de la moitié de l’équation budgétaire que les ménages doivent résoudre, estime l’organisation caritative. L’autre moitié, ce sont les dépenses, et notamment celles sur lesquelles peu de marge de manœuvre existe à court terme, c’est-à-dire celles liées par un contrat (loyer, charges, assurances, frais scolaires…). Or ces dépenses pré-engagées absorbent en moyenne près de 60% du revenu des individus en situation de précarité, contre 30% pour l’ensemble de la population vivant en France», peut-on lire dans le document.
Moins de 5 euros par jour
La conclusion est simple. Quand on est jeune, issu d’une famille modeste, se loger aspire presque la totalité de vos revenus. S’alimenter devient donc un sujet de débrouille. Près de 20% des étudiants interrogés disent s’être tournés vers l’aide alimentaire du fait de la pandémie et de ses restrictions. Deux fois plus que l’ensemble des bénéficiaires.
Cette pauvreté ne fait que s’accroître avec l’actuelle crise énergétique. Deux ans après l’émergence de la crise sanitaire, la moitié des ménages étudiés par le Secours Catholique dispose «d’un reste pour vivre de moins de cinq euros par jour et par personne (ou 7,50 euros par jour et par unité de consommation), soit une diminution de 0,5 à 1 euro selon les ménages par rapport au niveau d’avant crise. Avec cela, il faut acheter à manger, des produits d’hygiène, s’habiller… Nous estimons la dépense minimale d’alimentation à au moins 7 euros par jour et par personne. 48% des ménages rencontrés se retrouvent donc dans l’incapacité de couvrir leur dépense alimentaire quotidienne (+3 points en deux ans)».
Plus d’un tiers du PIB en dépenses sociales
Comment en sortir dans un pays qui consacre 31% de son produit intérieur brut aux dépenses publiques sociales, alors que la moyenne des pays de l’OCDE (le club des pays riches) est d’environ 20%? Emmanuel Macron, on s’en souvient, s’était emporté en juin 2018 contre le «pognon de dingue» dépensé par l’État, sans parvenir à endiguer cette détérioration sociale. La question reste posée.
«Sous l’effet conjugué du renchérissement des prix immobiliers et de la fragilisation des ressources des plus précaires, la proportion de ménages devant consacrer plus du tiers de leurs ressources au logement s’est accrue de 7% entre 2020 et 2021 pour l’ensemble de la population française, et de 15% pour les plus modestes (atteignant respectivement 5,9% et 26,2% en 2021) conclut le Secours catholique. Cette pression croissante précipite nos concitoyens les plus fragiles dans la spirale des factures.»
Et la République dans celle des fractures…