Élisabeth Borne est un pompier qui n’a pas encore trouvé sa lance à incendie. La Première ministre française devrait pourtant se réjouir d’avoir, ce lundi, duré plus longtemps à l’Hôtel Matignon que son unique prédécesseure, Édith Cresson (15 mai 1991-2 avril 1992).
Cette dernière avait explosé en vol, contrainte à la démission par la pression politique et son manque de marge de manœuvre, à la fin du second mandat de François Mitterrand. Le pays, en clair, ne voulait pas de cette élue socialiste, nommée par le «Sphinx» de l’Élysée pour remplacer Michel Rocard, son ennemi politique numéro 1.
La situation de l’actuelle cheffe du gouvernement est différente. Elle n’a pas été nommée, le 16 mai 2022, pour tuer quiconque sur le plan politique. Elle s’est juste retrouvée là, faute d’autres candidates capables de convenir à Emmanuel Macron et à la nécessité d’élargir sa majorité…
Or voilà que cette Première ministre de 61 ans, haut-fonctionnaire coriace et tenace, est entrée dans sa semaine la plus décisive. Deux rendez-vous vont façonner son action, et peut-être son bilan à la tête du gouvernement, sur fond de bataille sociale sur la réforme des retraites, actuellement sur le bureau du Conseil Constitutionnel (décision attendue le 14 avril).
Le premier rendez-vous est politique. Il a commencé ce lundi. Élisabeth Borne a entamé son tour d’horizon avec les chefs de groupe politiques de l’Assemblée et du Sénat. Elle continuera ce mardi, puis recevra mercredi les syndicats, tous unis depuis le début de l’année contre le projet de loi sur le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (au lieu de 62 actuellement).
Là, ça passera ou ça cassera. Soit un début de terrain d’entente est trouvé pour sortir de la crise. Soit la réunion s’achève comme elle a commencé: sur un désaccord total et la colère accrue des partenaires sociaux.
Ralliée de la première heure à Macron
Le plus compliqué, pour la Première ministre issue du Parti socialiste, mais ralliée de la première heure à Emmanuel Macron, est que beaucoup la voient déjà sur le départ. Le leader de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon, a plusieurs fois demandé ouvertement son départ.
Les syndicats ont toujours dénoncé son intransigeance. Et ses opposants à l’Assemblée, y compris au sein du camp présidentiel, redoublent de critiques depuis le rejet à neuf petites voix près de la motion de censure contre son gouvernement, le 20 mars.
En clair: il y a de l’agonie politique dans l’air, tant la consigne donnée par Emmanuel Macron «d’élargir la majorité» semble impossible à exaucer. Élisabeth Borne a fait mieux qu’Édith Cresson. Mais le couperet politique pourrait vite retomber sur elle.
Technocrate élue pour la première fois en 2022
La grande difficulté, pour cette technocrate élue pour la première fois députée en juin 2022 à Vire (Calvados, Normandie), est qu’elle ne connaît pas le pays des élus. Sa carrière préfectorale l’a conduite aux côtés de l’ancienne candidate présidentielle du PS Ségolène Royal en région Poitou-Charentes. Mais elle n’a jamais été décisionnaire. Elle appliquait les consignes.
Or ces jours-ci, Emmanuel Macron semble prendre ses distances. Il sera d’ailleurs en Chine, cette semaine, loin de Paris où des violences pourraient de nouveau conclure la marche du 6 avril contre la réforme des retraites. Pas simple, dans ces conditions, d’assumer seule l’impopularité du texte législatif. Et d'éviter d'être ensevelie par le volcan social français.
Pas simple, surtout, de dénouer une crise sans marge de manœuvre budgétaire. Car les caisses de la France sont vides et toute hausse des taux d’intérêt serait très pénalisante pour le pays. Le commissaire européen Thierry Breton l’a d’ailleurs dit ces jours-ci: C’est «du côté des marchés qu’il faut regarder» pour comprendre le refus du gouvernement et de la Première ministre de mettre la loi sur les retraites en mode pause.
«La question à se poser, c’est comment rembourser cette dette? Comment faire face à tout ça quand on a la dette la plus importante? Effectivement, on a moins de marge de manœuvre» a poursuivi Thierry Breton. En politique, cela porte un nom: avoir le dos au mur. Avec des clous fichés dedans…