Les casseroles? Ils les gardent dans les placards de leurs cuisines. Les embuscades et les huées réservées aux ministres et à Emmanuel Macron lui-même, lors de leurs déplacements dans le pays? Ils se tiennent à l’écart et haussent les épaules. La réforme des retraites si controversée? Ils ne l’approuvent pas tous, mais ils la considèrent comme incontournable. La crise sociale française sur laquelle tous les médias s’attardent? Ils n’y prêtent guère d’attention.
Pour eux, le pouls de la France bat ailleurs: dans leurs entreprises, dans leurs communes, dans leurs départements où le vacarme de Paris et des grandes métropoles ne parvient que de manière étouffée, malgré la forte mobilisation sociale dans les villes moyennes ces derniers mois.
Des citoyens qui ont d’autres préoccupations
Qui sont-ils, ces Français anti-casseroles? «Ils ne sont pas des Français contents, heureux, ravis de la situation actuelle, explique à Blick le sociologue Jean Viard, auteur de «La France telle que je la connais» (Ed. de l'Aube). Ils sont juste des citoyens qui ont d’autres préoccupations. Pour eux, ce qui se passe au sommet de l’État n’est pas le plus important. Ils veulent un pays qui fonctionne, pas un pays bloqué.»
Même écho chez cet ancien député de l’ouest de la France, fin connaisseur de son électorat, dans une partie du pays réputée pour son dynamisme économique: «Les médias s’imaginent que tous les Français ont une casserole à la main pour taper dessus devant les caméras. C’est faux. Archi faux. Beaucoup de nos concitoyens ont compris que l’effervescence politique actuelle n’apportera rien de bon. Ils redoutent que la confrontation entraîne davantage de blocages et de difficultés, dans un pays où les services publics sont de plus en plus détériorés.»
Un tiers des Français veulent refermer la parenthèse des retraites
Selon les sondages, un tiers des Français veulent en finir avec la crise engendrée par la réforme des retraites promulguée dans la nuit du 14 avril par Emmanuel Macron. Ils sont, c’est vrai, beaucoup moins nombreux que les deux tiers hostiles à sa mesure phare: le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (contre 62 jusque-là). Sauf que ces chiffres ne disent qu’une partie de la réalité.
Ils disent le désaccord, mais ils ne signifient pas pour autant que 70% de la population veut poursuivre le combat social. «La réalité est plutôt l’indifférence, poursuit l’ancien député, interrogé par Blick. Vous croyez vraiment que les Français pensent que le pays peut changer en «cent jours», comme le promet Emmanuel Macron? Les concerts de casseroles donnent l’illusion que le pays est tout entier mobilisé contre le président. Dans les faits, beaucoup s’en foutent et pensent à leurs fins de mois, à leurs projets, à leur avenir.»
Les «cent jours» ont accru cette coupure. Le président français, féru d’histoire, a cru remobiliser les énergies en donnant mandat à sa Première ministre de préparer une «feuille de route» pour une série de réformes d’ici au 14 juillet, jour de fête nationale. C’est ce programme qu’Élisabeth Borne doit dévoiler ce mercredi 26 avril à la mi-journée, autour de grands sujets comme l’éducation, la santé ou la sécurité. «Nous avons devant nous cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France, c’est notre devoir et je nous fais confiance, je vous fais confiance pour y arriver», a affirmé Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution télévisée du 17 avril.
Et alors? Les Français, eux, sont plutôt impassibles. Dans un communiqué publié ce même jour, l’Institut national de la statistique (INSEE) juge que «le moral des ménages en France s’est légèrement amélioré en avril, les Français se montrant plus confiants sur l’évolution de leur niveau de vie et de leur situation financière. Ils sont moins nombreux à considérer que leur situation financière personnelle va se dégrader dans les prochains mois». Sous-titre: les casseroles font du bruit, mais la France avance.
Création d’entreprises en nette hausse
Un autre chiffre est révélateur. Certes, face aux caméras, des escouades de militants bloquent les ministres et huent Emmanuel Macron. Lundi 24 avril, le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye s’est ainsi retrouvé coincé dans son TGV Gare de Lyon, empêché d’effectuer un déplacement prévu en province. On se souvient aussi des bruyantes casseroles en arrière-plan sonore des déplacements du chef de l’État en Alsace ou dans l’Hérault ces derniers jours.
Mais simultanément, le nombre des créations d’entreprises n’a jamais été aussi élevé. Entre le 1er trimestre 2022 et le 1er trimestre 2023, 1 060 891 entreprises ont vu le jour, avec 61% d’auto-entrepreneurs. Les 656'000 microentreprises créées en 2022 sont loin devant les créations de sociétés (300'000) et les entreprises individuelles classiques (122'000). Attention donc aux extrapolations car les chiffres d’affaires des microentreprises sont souvent très bas. Dans le dernier trimestre 2022, l’un des secteurs les plus dynamiques a été celui des «services aux entreprises», comme les community managers et les activités de design. On est donc loin de la production industrielle qu’Emmanuel Macron rêve de ressusciter. Mais le pays bouge. Il n’est pas inerte.
Citée par le quotidien «La Croix», l’universitaire Christel Tessier, spécialiste des ressources humaines, confirme: «Cette France entrepreneuse construit des compétences, se créer un réseau et se tourne vers un emploi plus stable.» Un pays réel, moins caricatural que le pays de la révolte mis en avant dans les médias, et pas uniquement incarné par la résistance politique de la gauche radicale, avec en tête La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon? C’est le pari d’Emmanuel Macron, à qui seulement 26% des Français font aujourd’hui confiance selon les sondages. 47% de ses concitoyens sont «très mécontents».
Alors, qui va gagner entre les casseroles et les cent jours? La députée mélenchoniste Clémentine Autain, de la «France insoumise» file évidemment la métaphore historique, en référence aux cent jours de l’empereur Napoléon 1er en 1815: «Avec tous les communicants autour de Macron, ces gens qui ont fait l’ENA, il n’y en a pas un qui lui a dit que les cent jours, c’est grave, ça se termine à Waterloo, à Sainte-Hélène», a-t-elle assénée.