C’est le mot qui affole la République. Destitution! En clair: pousser Emmanuel Macron dehors par la force des institutions, grâce au vote d’une motion qui permettrait, si elle est adoptée par une majorité de députés, de révoquer le président français. Macron dehors, obligé de quitter le palais de l’Élysée où il poursuit, ce mardi 27 août, ses consultations en vue de trouver le candidat idéal pour le poste de Premier ministre. Jouable? Défendable? Justifiable?
Le cadre légal d’abord. La destitution du chef de l’État n’est possible, selon la Constitution française, que dans le cadre de l’application de son article 68 ainsi énoncé: «Le président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour».
«Manquement à ses devoirs»
Une traduction est indispensable. La notion de «manquement à ses devoirs» porte, selon les constitutionnalistes, sur «des faits d’une extrême gravité, tels que des atteintes à l’État de droit ou des violations majeures de la loi fondamentale». La «Haute Cour» est la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont les élus peuvent – après avoir été saisis d’une motion votée par en termes identiques par les deux chambres – destituer le président à la majorité des deux tiers, soit 617 parlementaires sur 925.
Point important: la possibilité de destituer le président n’existait pas dans le texte initial de l’actuelle Constitution française adoptée en 1958. À l’époque, le texte écrit pour le Général de Gaulle estimait dans son article 67 que «le président de la République n’était responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison». C’est en 2007 que l’article 68 a été introduit à l’issue d’un débat sur la responsabilité pénale du chef de l’État. Ce dernier, en plus de pouvoir être destitué à l’issue d’une procédure parlementaire, peut aussi depuis cette date être poursuivi devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, génocide, crimes de guerre…
Séisme républicain?
Et maintenant? Parlons de ce qui se passe aujourd’hui en France. La confirmation lundi 26 août, par La France Insoumise (LFI, gauche radicale) de son intention de déposer une motion de destitution du président, annonce-t-elle un séisme républicain? La réponse est non.
Non, parce que les actes reprochés par ce parti à Emmanuel Macron – à savoir le refus de nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire (l’alliance de gauche sortie de justesse en tête des urnes aux législatives avec 193 députés) – ne peuvent pas être qualifiés de «manquement à ses devoirs». Certes, le président ne tire pas les conséquences du scrutin, comme cela se ferait dans une démocratie parlementaire où le leader du parti arrivé en tête est en général chargé de former le gouvernement. Mais il est dans le rôle que lui accorde la Constitution, dont l’article 8 lui confère le choix de nommer le Premier ministre, sans aucune condition.
Aucun parti n’a suivi
Non, parce qu’aucun autre parti n’a embrayé sur ce thème de la destitution, et que le vote d’une motion à la majorité des deux tiers est juste impensable. Il s’agit donc d’une stratégie de communication de la part de LFI et de son ténor Jean-Luc Mélenchon. Proposer de destituer Emmanuel Macron, c’est relancer la machine à polémiques et attiser la colère des militants et activistes de gauche, à moins de trois ans de la fin du mandat d’un président qui ne pourra pas se représenter une troisième fois en 2027.
Troisième «non» à opposer à cette menace de destitution: la méthode et le calendrier. En théorie, une procédure de destitution doit être activée sur la base de faits établis, éventuellement sanctionnés par une enquête judiciaire. Or, dans ce cas de figure, LFI utilise cette menace en pleines consultations, alors que le locataire de l’Élysée n’a toujours pas nommé de chef du gouvernement.
Le communiqué présidentiel du 26 août exclut la nomination de la candidate du Nouveau Front Populaire Lucie Castets, mais il lance un appel aux socialistes, aux écologistes et aux communistes. La porte demeure donc ouverte, même si l’alliance de gauche refuse d’y répondre. Une tribune de plusieurs élus et personnalités socialistes, publiée par le quotidien «Libération», laisse toutefois entrevoir des divisions sur une participation, ou non, à un gouvernement.
Deschanel et De Gaulle
Aucun président français n’a été destitué dans l’histoire de la République. Deux ont en revanche été, en quelque sorte, «poussés à la démission» par les circonstances. Le premier est Paul Deschanel (1855-1922), qui quitta le pouvoir en septembre 1920 après des troubles mentaux. Le second est Charles de Gaulle qui démissionna avec éclat le 28 avril 1969, après l’échec de son référendum sur l’abrogation du Sénat. Rien ne l’y obligeait. Mais pour l’intéressé, le désaveu populaire était une forme de destitution.