La France est-elle ingouvernable? La question est, depuis la fin des Jeux olympiques, sur les lèvres de tous les commentateurs politiques. Et ce ne sont pas les consultations menées par Emmanuel Macron vendredi 23 août et ce lundi 26 août qui démontrent le contraire. Au fil de ses discussions avec les responsables des groupes parlementaires et des partis politiques, le président français n’a dégagé aucune piste sérieuse sur une possible coalition majoritaire à l’Assemblée nationale.
Un communiqué de l'Élysée publié ce lundi soir annonce de nouvelles consultations. C’est donc, dans tous les cas de figure, un Premier ministre minoritaire, soumis en permanence au risque d’être renversé par une motion de censure votée par une majorité de députés, qui devrait prendre les commandes du gouvernement.
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Pour bien comprendre ce qui se passe en France ces jours-ci, quatre points sont indispensables à garder en tête.
Le verrou: C’est le président de la République, en vertu de l’article 8 de la Constitution, qui nomme le Premier ministre. Rien d’autre n’est écrit dans la loi fondamentale. Celle-ci donne par conséquent au chef de l’État une liberté totale. Bien que logiquement lié au résultat des élections législatives, le choix présidentiel ne dépend pas de celles-ci. Fort de cette prérogative, Emmanuel Macron envisage lundi soir d'élargir ses consultations à des personnalités extérieures à l'Assemblée nationale, voire au monde politique.
Le résultat: Emmanuel Macron persiste à dire, en public, que les électeurs français n’ont pas désigné de vainqueur à l’issue du scrutin. Pour lui, le fait que la coalition de gauche dispose du plus grand nombre de sièges de députés (193 répartis en plusieurs groupes, contre 166 pour le camp présidentiel lui aussi divisé, 143 pour le Rassemblement national et ses alliés et 47 pour la droite traditionnelle) n’est pas une victoire qui justifie de nommer son candidat à l’Hôtel Matignon. L’originalité de la gauche unie est en effet qu’elle s’est entendue sur un nom: celui de la technocrate Lucie Castets, pour diriger le gouvernement. Une option clairement écartée ce lundi soir par le président au nom de la «stabilité institutionnelle».
Le risque: Tout nouveau Premier ministre sera aussitôt exposé à une motion de censure, puisqu'aucun camp politique ne dispose de la majorité absolue. Il faut 58 députés au minimum pour en déposer une. Et cette motion doit obtenir le soutien de 289 députés sur les 577 pour renverser le gouvernement. La couleur politique des élus n’a pas d’importance. Faites les calculs: il suffit d’une coalition de circonstance, par exemple en opposition à un projet de loi, pour qu’une motion de censure soit votée. Une coalition de gauche avait-elle plus de chance d'être renversée qu'une autre alliance ? C'est ce que vient d'annoncer Emmanuel Macron.
L’argent: Un gouvernement «en affaires courantes», comme l’est celui de Gabriel Attal depuis sa démission le 16 juillet, ne peut pas présenter de nouveau projet de loi de finances (le budget) pour 2025. Il pourrait en revanche proposer à l’Assemblée nationale de voter la reconduction du budget 2024. Problème: selon le ministre des Finances Bruno Le Maire, une réduction d’au moins 5 milliards d’euros de dépenses publiques est indispensable l’année prochaine. En France, le projet de budget (ou projet de loi de finances) doit être déposé au Parlement «au plus tard le premier mardi d’octobre», qui tombe cette année le 1er octobre.
Qui peut accepter de prendre les rênes du pays dans ce contexte? En sachant que le président ne pourra de nouveau dissoudre l’Assemblée nationale (comme il l’a fait le 9 juin, à la surprise générale) qu’au mois de juillet 2025, soit un an après la tenue des récentes législatives… Trois hypothèses circulent et apparaissent crédibles.
Coalition ou cas par cas
La coalition: Cette hypothèse consiste à nommer un Premier ministre capable de réunir sur son nom une coalition sinon majoritaire, du moins suffisante pour empêcher l’adoption d’une motion de censure. Le chef du gouvernement s’engagerait sur un «contrat de coalition», et parviendrait, sur cette base, à convaincre un certain nombre de partis politiques de ne pas voter sa destitution. Deux options sont sur la table: une coalition de droite, que le Rassemblement national ne censurerait pas. Ou une coalition de gauche qui débaucherait des élus de droite modérés (car le RN et une bonne partie de la droite voteraient la censure). La candidate de gauche Lucie Castets s’est dit «prête à des concessions» sans expliciter. Insuffisant selon le président qui vient d'écarter cette option du NFP dans un communiqué.
Le cas par cas: Cette hypothèse est aussi désignée comme «un gouvernement technique». Emmanuel Macron choisirait une personnalité non élue comme Premier ministre, pour lui confier la gestion du pays avec le minimum de nouveaux textes de lois. Sur chacun de ces textes, à commencer par celui du budget, le nouveau locataire de l’Hôtel Matignon devrait composer une majorité ad hoc, et désamorcer une possible motion de censure. Il faudrait, pour que ça marche, une forte personnalité, respectée pour ses compétences. Par exemple, l’actuel gouverneur de la Banque de France…
Le parti des régions: Cette hypothèse est peu évoquée, mais elle circule. Emmanuel Macron formerait un gouvernement composé de personnalités élues au niveau régional, ou de maires de grandes villes. Il s’agirait d’un gouvernement «arc-en-ciel», dont seules deux forces politiques seraient exclues: le Rassemblement national (droite nationale populiste) et La France Insoumise (gauche radicale). Le président s’appuierait sur une autre légitimité électorale: celle des territoires. Avec des personnalités qui, dans leurs régions ou leurs villes, dépassent déjà les clivages politiques classiques.
Et au final? Un seul impératif: être capable de gouverner, c’est-à-dire de faire voter le budget et des lois, tout en respectant les traditionnels «domaines réservés» du président de la République que sont les Affaires étrangères et la Défense. Tom Cruise, on s’en souvient, était présent lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques au Stade de France. Peut-être faudrait-il lui confier cette «mission impossible»?