Rien de pire qu’une réforme nécessaire, mal défendue, pas votée et désormais détestée. Nous y sommes. A quelques heures de l’examen par les députés français des deux motions de censure contre le gouvernement présentées par l’opposition, Emmanuel Macron se retrouve ce lundi 20 mars 2023 le dos au mur, sans autre solution que d’imposer son projet de loi sur les retraites malgré la colère populaire, ou de l’abandonner en rase campagne. Avec, dans les deux cas, un risque identique: alimenter une curée politique contre la poursuite de son second mandat.
Cette situation n’était pourtant pas programmée. Il faut toujours le redire dans ces heures où l’actualité politique française paraît si sombre et chaotique: une très nette majorité d’électeurs français, exactement 66,06%, avaient fait le choix d’un changement radical en portant à l’Élysée, en mai 2017, un jeune ministre de l’Économie de 39 ans. Lequel venait de signer un livre intitulé «Révolution» et promettait, entre autres, de se consacrer à la transformation du pays, sans être prisonnier du clivage droite-gauche, et des partis qui le structuraient jusque-là.
Certes, Emmanuel Macron, avait alors bénéficié d’un report favorable des suffrages de tous ceux qui ne voulaient pas (déjà) confier les rênes de la République à Marine Le Pen. Mais souvenons-nous du premier tour de cette présidentielle 2017, car il rimait avec tout, sauf un surplace programmé. 24% pour Macron le disrupteur. 20,01% pour Fillon le libéral-conservateur, qui jurait lui aussi de réformer le pays, après avoir déclaré, quelques années plus tôt comme Premier ministre: «Je suis à la tête d’un État en faillite.» Le réalisme, le volontarisme et le risque étaient, de facto, sortis vainqueurs des urnes.
Stop aux clichés!
Alors stop aux clichés, prompts à remonter ces jours-ci à la surface sur fond d’images de chaos à l’Assemblée nationale, de barricades et de braseros sur la place de la Concorde, et de caillassage des permanences d’élus dans plusieurs villes de l’hexagone.
Oui, les Français, protégés par un État-providence tentaculaire et terriblement coûteux, sont allergiques aux réformes. Oui, les Français sont toxicomanes à l’argent public. Oui, les Français vivent plus mal que d’autres les inégalités croissantes engendrées par la mondialisation. Oui, les Français peinent à donner du sens au travail dans un pays où les 35 heures hebdomadaires n’ont pas produit les effets positifs escomptés pour la grande majorité des salariés (bien au contraire) et où la contrepartie de cette soi-disant avancée sociale a été l’absence de revalorisation des rémunérations. Oui, tout cela est vrai. Comme est vraie, aussi, la réputation d’une population française ingouvernable, car à la fois repliée sur elle-même, assoupie, peu portée sur la concurrence, mais éruptive et travaillée de l’intérieur par une éternelle fièvre révolutionnaire.
Les retraites, enjeu majeur de société?
Reste une évidence: s’obstiner à réformer le pays contre une majorité de Français, en bâclant au passage les réformes en question, n’est ni viable, ni souhaitable dans une période de radicalisation à tous les étages de nos démocraties. Si le système de retraite par répartition est un enjeu majeur de société, alors le véhicule législatif choisi – un texte budgétaire, pour permettre l’utilisation du 49.3 – par le gouvernement d’Elisabeth Borne était une faute politique majeure. Plus grave encore: avoir ignoré les demandes du syndicat CFDT pour lier une grande réflexion sur le travail et les retraites est une décision coupable.
Réélu en 2022 avec 58% des voix, Emmanuel Macron avait pourtant reçu un avertissement des «Gilets jaunes» quelques années plus tôt. Son style, sa méthode, ses raccourcis, ses formules parfois brutales et choquantes avaient mis le feu au pays. Croire qu’une ex-technocrate socialiste têtue et dure au mal comme Elisabeth Borne suffirait à passer outre le besoin d’empathie, de pédagogie et d’égalité dans un pays blessé montre qu’au fond, ce (toujours) jeune président continue de croire, à tort, que sa stature intellectuelle, la force de son charme personnel, sa vitesse d’exécution, son obsession (légitime) des marchés financiers qui regardent la France endettée peuvent remplacer la politique à l’ancienne faite de compromis, de petits pas négociés en amont, et de confiance consolidée. Le tout, sans avoir le courage d’aller jusqu’au référendum ou, a minima, jusqu’au vote des députés.
La vérité est toute autre: le pays du TGV ne peut être réformé que si les Français montent à bord du train qu’on leur propose. Poursuivre sur les mêmes rails, à la même vitesse et avec la même conductrice sera, même si les motions de censure sont rejetées ce lundi 20 mars, la garantie d’autres crashs politico-sociaux encore plus douloureux. Voire bien pire: un aller simple vers un déraillement politique dont Emmanuel Macron portera alors la très lourde responsabilité.