Ces images, certains rescapés de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016 à Nice refusent encore de les voir. Impossible, en effet, de ne pas être glacé d’effroi par «l'extrême violence» du contenu des caméras de vidéosurveillance qui, en cette soirée de Fête nationale française transformée en carnage par un camion fou, ont tout filmé ou presque.
Impossible surtout, pour les centaines de parties civiles représentées au procès qui a ouvert le 5 septembre au Palais de justice de Paris, d’accepter les faits terribles: personnalité violente et erratique, le chauffeur du camion fou, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, a d’abord stationné son véhicule en bordure de la promenade des Anglais, à cheval sur le trottoir, au vu et au su de la police niçoise. Une simple intervention pour lui faire quitter les lieux, ce soir-là, aurait pu éviter la tragédie.
Nice, championne de la vidéosurveillance
Parmi les villes balnéaires françaises, Nice est l’une des championnes de la vidéosurveillance. Son maire Christian Estrosi (droite), réélu en 2020, en a fait un argument victorieux de campagne. Tout au long de sa fameuse Promenade qui longe la Méditerranée, des dizaines de caméras filment les allées et venues des badauds. Ce 14 juillet 2016, moins d’un an après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, les précautions policières auraient donc dû être maximales alors que des milliers de personnes attendaient le feu d’artifice nocturne, tiré depuis la mer.
Or rien n’a fonctionné. L’accès à la Promenade des Anglais n’était pas barré comme il l’est aujourd’hui. Le cordon policier était inexistant. Et les images, dûment enregistrées, se sont accumulées tel un feuilleton de l’horreur dans les serveurs de la police municipale.
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Colère des victimes
C’est cette colère dont les juges de la Cour d’assises spéciale ont peur. La colère de victimes qui ne comprennent pas pourquoi Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le jeune Tunisien âgé de 31 ans, connu pour des faits de violence sur sa femme qui l’avait dénoncé à la police, n’a même pas été interpellé pour un interrogatoire.
Sans parler des questions posées sur le déroulement de cette soirée. Quatre minutes et 17 secondes de terreur pour tuer 86 personnes, fauchées par le camion loué quelques heures auparavant et stationné dans une rue adjacente avant de s’approcher de la Promenade, puis de se ruer sur les 25'000 badauds rassemblés.
Dès l’ouverture des débats, devant les sept accusés ex-familiers du terroriste tué ce soir-là par la police (aucun n’est accusé de complicité directe dans l’attentat), les parties civiles ont affiché leur incompréhension. Avec cette interrogation: des erreurs commises par les forces de l’ordre ont-elles été dissimulées? La municipalité de Nice a-t-elle fourni toutes les informations requises?
Les images seront finalement montrées
Au final, les images de vidéosurveillance seront montrées ce jeudi 15 septembre dans l’après-midi. Elles défileront sur l’écran géant installé dans la salle d’audience qui fut aussi celle du procès V13, le procès des attentats du 13-Novembre achevé le 29 juillet dernier. Elles seront aussi diffusées dans la salle du Palais des congrès de Nice réservée aux victimes pour les retransmissions en direct du procès parisien.
Les premiers enquêteurs interrogés ont avoué que ces images sont «insoutenables». Chacun sait que ce moment sera terrible. Les accusés, qui n’étaient pas sur place, clament depuis le début qu’ils n’ont rien à faire dans le box, car ils ne savaient en rien ce que tramait le solitaire radicalisé, résolu à tuer le maximum de personnes, parmi lesquelles de nombreux musulmans.
Des héros, morts ou rescapés
Il y aura aussi, gravé sur les images, la parcours des «héros», morts ou rescapés. Comme ce conducteur de scooter qui jeta sa machine sous le camion pour l’arrêter. Ou ce commissaire de police qui s’agrippa au véhicule lancé à pleine vitesse, slalomant pour tuer. On verra les corps d’enfants tapés par le pare-chocs et désarticulés. L’horreur terroriste apparaîtra sous les yeux de tous.
Mohamed Lahouaiej Bouhlel n’était pas une recrue de longue date de Daech, l’État islamique qui a ensuite revendiqué son attentat. A quelques minutes près, à un geste policier près, son itinéraire ce soir-là aurait pu s’achever à l’écart de la foule, loin de son camion retrouvé criblé de balles, le pare-chocs plein de sang, sur la Promenade des Anglais transformée en cimetière.
Or la vidéosurveillance, le 14 juillet 2016, a filmé le contraire à Nice: le déroulement, seconde par seconde, d’une tuerie de masse qui aurait pu être évitée.