L'attentat de Nice en procès
La France redécouvre sa vulnérabilité face aux terroristes islamistes

A l'heure où la justice française a commencé à disséquer les faits ayant conduit à l'attentat de Nice du 14 juillet 2016, de nombreux faits montrent que la France reste vulnérable au terrorisme islamiste.
Publié: 05.09.2022 à 20:03 heures
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Dernière mise à jour: 05.09.2022 à 21:03 heures
Le procés de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 s'est ouvert lundi 5 septembre à Paris. Dans la salle spéciale du Palais de justice, seule une quarantaine de parties civiles (sur près de 1000) avait fait le déplacement.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Nathalie Goulet est une parlementaire française inquiète. Sénatrice centriste de l’Orne (en Normandie), cette élue est l’autrice d’un très copieux et complet «Abécédaire du financement du terrorisme» (éditions du Cherche Midi). Un travail d’investigation mené après avoir œuvré au sein de plusieurs commissions d’enquête sur les filières djihadistes et sur l’Islam en France.

Au final, alors que s’est ouvert lundi 5 septembre un second procès-fleuve après celui des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la conviction que la France reste vulnérable à la violence islamiste radicale demeure. «Il n’y a aucune comparaison par rapport à 2016. Le personnel anti terroriste est beaucoup mieux formé. Le nombre de personnel est bien plus important. Mais les failles restent importantes, trop importantes» reconnaît Nathalie Goulet.

Huit accusés au palais de justice de Paris

Jusqu’en décembre, huit connaissances de l’auteur de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 comparaîtront devant la Cour d’assises spéciale. Aucun des accusés n’est considéré comme un complice direct de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur du massacre au camion fou sur la promenade des Anglais survenu au moment où des milliers de personnes attendaient le feu d’artifices en bord de mer pour cette journée de fête nationale, il y a six ans. La question du «comment» sera dès lors posée avec encore plus de gravité.

Comment cet homme de 31 ans, Tunisien titulaire d’une carte de séjour, a-t-il pu se transformer en tueur sans alerter la police et les services de renseignement? Comment est-il possible, en France, d’échapper ainsi à tous les radars et à tous les détecteurs de «signaux faibles» que Nathalie Goulet estime «indispensables pour contrer les candidats terroristes»?

La réponse? «Nous avons depuis 2015 et les attentats de Paris, voté de nombreuses lois cumulatives sur la sécurité estime la sénatrice. On a aussi voté des textes contre le séparatisme, qui cible directement l’islamisme radicalisé. Nous avons un dispositif législatif. Nous avons des procédures judiciaires. La question est celle de leur déclenchement.

Quand décide-t-on de les utiliser pour mettre un individu hors d’état de nuire? Notre difficulté est celle de mesurer et d’évaluer, en France, la notion de troubles à l’ordre public. Regardez ce qui se passe ces temps-ci avec l’affaire de l’Imam Hassan Iquioussen

Une gifle infligée à l’État français

L’affaire Iquioussen plane en effet comme une sorte de gifle infligée à l’Etat français, pile au moment où la justice se penche sur la tragédie de Nice qui a fait 86 morts et des centaines de blessés. Près d’un millier de parties civiles espèrent que le voile sera levé lors du procès qui se tient en présence de sept accusés sur huit (le dernier est en prison en Tunisie) , dont trois seulement sont actuellement incarcérés.

Or, que voient ces jours-ci ces parties civiles dans les médias français? L’histoire d’un imam du nord de la France, connu pour ses liens avec les Frères musulmans - et réputé pour avoir organisé des collectes pour des écoles islamiques radicales en Mauritanie - que le gouvernement français n’a ni réussi à expulser, ni à localiser.

L’imam en fuite serait en Belgique

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, lui-même élu du Nord, a promis l’expulsion de ce religieux de 58 ans, fiché «S» depuis 18 mois par la DGSI, le renseignement intérieur. Né en France, l’imam Iquioussen n’a pas la nationalité française. Il a conservé sa nationalité marocaine. Il est accusé par l’administration française d’avoir prêché dans les mosquées «un discours prosélyte émaillé de propos incitant à la haine et à la discrimination, et porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République». Mais côté policier, rien n’a fonctionné.

Aujourd’hui, l’imam Iquioussen est présumé se trouver en Belgique, où il n’a pas encore été localisé et arrêté. De quoi donner raison à l’ancien responsable du renseignement français Alain Chouet, auteur de «Sept pas vers l’enfer» (éditions Flammarion). Pour ce dernier, le dispositif sécuritaire reste, dans l’hexagone, beaucoup trop perméable aux salafistes violents: «Seuls les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et, sans certitude, ceux de janvier 2015, ont été commandités, prescrits, organisés, commis en groupes avec une tactique élaborée […]. Tous les autres ont été commis par des individus isolés, qui n’avaient reçu aucun ordre précis ni de cibles minutieusement désignées.»

Les prêcheurs radicaux sont les «donneurs d’ordre»

En clair: des individus endoctrinés, très sensibles aux prêches violents de personnalités religieuses radicalisées. «Les donneurs d’ordre et les instigateurs du terrorisme existent bien, accuse dans son ouvrage Alain Chouet. Inutile d’aller les chercher dans un recoin perdu de Syrie ou d’Afghanistan. Ce sont tous ceux qui prescrivent la dissidence et la séparation d’avec les sociétés de résidence ou d’accueil, tous ceux qui ordonnent l’irrespect des lois qui, selon eux, ne valent rien face à la charia islamique.»

Quel message pour l’opinion publique, au milieu de cette contradiction française? D’un côté, plusieurs mois de procès prévus pour l’attentat de Nice dont l’auteur a été tué le soir même par la police et dont personne (malgré les appels au secours de sa compagne, inquiète de sa violence) n’a su arrêter le parcours meurtrier. De l’autre, l’autorité de la République mise en échec par un imam en fuite.

«Tout le système a déraillé»

La sénatrice Nathalie Goulet fulmine: «Dans l’affaire de l’imam Iquioussen, c’est tout le système qui a déraillé. Il récoltait des fonds avec une cagnotte en ligne qui n’a même pas été fermée.» L’élue s’inquiète aussi de la prolifération des islamistes radicaux sur les plates-formes de vente en ligne, dans les réseaux de trafics des contrefaçons, voire dans les bourses d’échange des bitcoins.

«La justice est indispensable pour les victimes, mais elle ne doit pas faire oublier l’essentiel: la traque, la détection, la prévention. Deux-cent à 300 ex-djihadistes sortent de prison chaque année en France. L’administration judiciaire prétend qu’elle les suit. Rien n’est moins sûr. Face à ces menaces, nous sommes beaucoup mieux équipés qu’en 2016 au moment de l’attentat de Nice. Mais nous restons trop souvent aveugles et passifs au moment d’agir.»

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