Elon Musk ne sera jamais journaliste, et Alice Weidel ne sera probablement jamais chancelière de la République fédérale d'Allemagne. Telle est la leçon à tirer de l'entretien entre le magnat de la tech et la figure du parti d'extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD), diffusé en direct sur X jeudi soir. Elon Musk ne sait pas animer une discussion. Alice Weidel est quant à elle incapable de formuler des idées claires, hors de ses thèmes phares.
La conversation, qui n'était pas filmée, s'est transformée au bout de 45 minutes en un monologue d'Elon Musk, mêlant Martiens et autres lubies, dont il se fait régulièrement le porte-parole. Alice Weidel, qui s'était fait remarquer auparavant par son anglais impeccable, s'est progressivement muée en simple auditrice, se contentant d'asséner des «Yes, absolutely».
Au point qu'elle s'est retrouvée forcée de mettre un terme à la conversation au bout de 70 minutes, gentiment, mais fermement, tant son infériorité argumentative devenait évidente. L'entretien à toutefois été marqué par quatre moments qui risquent fort d'impacter la campagne pour les élections législatives allemandes, qui se tiendront le 23 février prochain. A commencer par une comparaison fumeuse avec... Adolf Hitler.
Le «Hitlergate»
Il faut bien l'admettre: invoquer la figure la plus détestée de l'histoire allemande, si ce n'est mondiale, était une démarche osée de la part de la politicienne d'extrême-droite. Son objectif? Présenter Hitler comme un socialiste antisémite de gauche et faire ainsi comprendre que son parti est à mille lieues du NSDAP. «Adolf Hitler était un communiste», a lâché Alice Weidel. «Le qualifier de politicien de droite conservateur est une grande erreur historiographique.»
Réduire l’AfD à un parti nazi est effectivement absurde. Nombre des revendications de la formation populiste d'outre-Rhin sont mises en œuvre depuis longtemps dans la loi en Suisse. Considérer les dérapages rhétoriques de certains représentant de l'AfD comme une preuve de leur orientation nationale socialiste est, dans la plupart des cas, une interprétation erronée.
Il ne faut toutefois pas se laisser troubler par l'interprétation que fait Alice Weidel de l'histoire, puisqu'elle a clairement minimisé le rôle d'Hitler en le présentant comme un socialiste fan de censure et avec quelques idées racistes. «Il a interdit les médias libres, c'est ce qui a fait son succès», a notamment déclaré Alice Weidel, avec un sous-entendu clair: celui qui s'oppose aujourd'hui à la liberté d'expression et refuse par exemple à l'AfD une plateforme de discussion (ou pire: une place au gouvernement), n'est à ses yeux rien d'autre qu'un Hitler des temps modernes.
Elon Musk a rapidement cherché à éloigner Alice Weidel du sujet. Avec un ton empreint d'un malaise tout-à-fait audible, l'allié de Trump a lancé: «Vous avez parlé d'Hitler et tout ça. Maintenant, les médias veulent vous présenter comme des extrémistes de droite. Que dites-vous à ce sujet?» Mais au lieu de saisir la perche tendue par le milliardaire et de présenter le programme de son parti, Alice Weidel a continué à bavarder sur le Troisième Reich et sur «Hitler, le communiste».
Angela Merkel, la grande fautive
Si elle réussissait l'exploit d'accéder à la chancellerie, Alice Weidel deviendrait la deuxième femme de l'histoire à diriger le gouvernement allemand après Angela Merkel. Une filiation dont elle se passerait vraisemblablement volontiers, tant ses critiques à l'égard de l'ex-chancelière sont acerbes.
Selon Alice Weidel, Angela Merkel est la seule responsable du «gâchis allemand». Elle reproche à la «chancelière verte» – comme elle aime la surnommer – d'avoir détruit les systèmes sociaux en ouvrant les frontières à des millions de migrants et d'avoir provoqué une catastrophe énergétique en fermant les centrales nucléaires.
«Celui qui fait cela doit être soit très stupide, soit détester son pays», conclut Alice Weidel. Un avis partagé par Elon Musk: «Le fait que l'Allemagne ait fermé ses centrales nucléaires en pleine crise énergétique est l'une des choses les plus folles que j'ai jamais vues.»
Un soutien teinté de déception
Si Elon Musk a réitéré son soutien à la formation d'extrême droite allemande en appelant à voter pour elle lors des prochaines législatives, il n'a pas pu cacher une certaine forme de déception. L'homme le plus riche du monde, père de douze enfants de trois mères différentes, a sans doute le sentiment de s'être trompé sur cette femme, lui qui s'enflammait encore en début d'émission sur «Alice Wiiidel» tout en déclarant que les Allemands «devraient absolument voter pour l'AfD».
Mais plus la conversation avançait, plus Elon Musk semblait sombrer dans l'ennui. Il faut dire que l'homme est habitué à plus de résistance. Or, Alice Weidel s'est rapidement muée en une interrogatrice fade, ce qui a eu le don de déconcerter le milliardaire. «Vous croyez en Dieu, Elon?» Réponse: Non. «Quand enverrez-vous votre vaisseau spatial sur Mars, Elon?». Réponse: dans deux ans.
Bref, une véritable purge. De quoi remettre en question le soutien d'Elon Musk à l'AfD? Les utilisateurs de X découvriront la réponse dans les jours et les semaines à venir.
Un peu d'humanité, enfin!
Au cours des derniers mois, la candidate de l'AfD à la chancellerie s'est fait remarquer par des propos extrêmes aussi provocants que bien calculés lors d'interventions au Bundestag (le Parlement allemand) ou d'apparitions publiques. Elle a néanmoins profité de son entretien avec Elon Musk pour montrer son côté humain. Et sur ce coup, elle y est parvenue.
Sa compassion pour les habitants de Californie, qui souffrent de l'enfer des incendies, semblait réelle. On l'a aussi crue lorsqu'elle a déclaré que les déclarations condescendantes de certains médias sur Donald Trump avaient provoqué en elle une «souffrance physique». Le fait qu'elle ne sache toujours pas si elle doit croire en un dieu ou non devrait permettre à de nombreux auditeurs de s'identifier à elle.
En prenant part à ce Musk-Talk, Alice Weidel a osé quelque chose. Avec un résultat clair: sa capacité à maîtriser les codes du divertissement est faible, voire nulle. Mais son intervention n'a rien changé au fait que de nombreuses personnes la verraient dans l'espace avec la première fusée d'Elon Musk.