Ahmad al-Chareh, nommé mercredi par les nouvelles autorités président intérimaire de la Syrie, a effectué une transformation fulgurante: en moins de deux mois, le commandant rebelle est devenu un homme d'Etat.
L'homme qui a pris le pouvoir le 8 décembre à la tête d'une coalition de groupes armés dirigée par sa formation radicale islamiste, cumule tous les pouvoirs pour une période de transition dont la durée n'a pas été précisée. Il a été chargé de former un «conseil législatif intérimaire», les nouvelles autorités ayant annoncé mercredi la dissolution du Parlement et le gel de la Constitution.
Reconstruite la Syrie
Dès sa prise du pouvoir, cet ancien jihadiste de 42 ans a abandonné son nom de guerre, Abou Mohammad al-Jolani, taillé sa barbe et adopté le costume cravate pour recevoir les responsables arabes ou occidentaux qui se succèdent à Damas.
Grand, bien charpenté, l'œil vif, il a multiplié les entretiens avec les journalistes étrangers, se présentant comme un patriote sincère voulant reconstruire la Syrie, dévastée par plus de dix ans de guerre. «La mission des vainqueurs est lourde et leur responsabilité est immense», a-t-il affirmé.
Mercredi, il a annoncé la dissolution de tous les groupes armés, dont sa propre formation, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), issue de l'ex-branche d'al-Qaïda en Syrie. Il avait rompu avec la nébuleuse jihadiste en 2016, même si son groupe est encore classé comme terroriste en Occident.
Issue d'une famille aisée
«C'est un radical pragmatique», déclare à l'AFP Thomas Pierret, un spécialiste de l'islamisme en Syrie. «En 2014, il a été au sommet de sa radicalité pour s'imposer face à la frange radicale de la rébellion et de l'organisation (jihadiste) Etat islamique, pour ensuite modérer ses propos», explique ce chercheur au CNRS.
Né en 1982 en Arabie saoudite, Ahmed al-Chareh y a passé ses sept premières années, son père travaillant dans le royaume, comme il l'a révélé dans une interview fin décembre à la chaîne Al-Arabiya.
La famille est ensuite revenue en Syrie et il a grandi dans le quartier cossu de Mazzé à Damas, au sein d'une famille aisée.
11-Septembre, un tournant
En 2021, il a expliqué dans une interview à la chaîne publique américaine PBS, que son nom de guerre, Abou Mohammed al-Jolani, était une référence à ses origines familiales dans les hauteurs du Golan (al-Jolan en arabe).
Selon lui, son grand-père a été déplacé du Golan après l'occupation en 1967 par Israël d'une grande partie de ce plateau syrien. Il entame des études de médecine mais commence à fréquenter avec assiduité la mosquée locale.
D'après le site Middle East Eye, c'est après les attentats du 11-Septembre que «les premiers signes de jihadisme commencèrent à apparaître dans la vie de Jolani, lequel commença à assister à des sermons et des tables rondes secrètes dans les banlieues marginalisées de Damas».
Parti au combat
Après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, il part combattre dans ce pays voisin de la Syrie, où il rejoint le groupe al-Qaïda en Irak d'Abou Moussab al-Zarqawi avant d'être emprisonné durant cinq ans. Après le début de la révolte contre Bachar al-Assad en 2011, il rejoint son pays natal pour y fonder le Front al-Nosra, qui deviendra HTS.
En 2013, il refuse d'être adoubé par Abou Bakr al Baghdadi, futur chef du groupe jihadiste Etat islamique, et lui préfère l'émir d'al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri.
Réaliste selon ses partisans, opportuniste selon ses adversaires, il affirme en 2015 ne pas avoir l'intention de lancer des attaques contre l'Occident, contrairement à l'EI. Lorsqu'il rompt avec al-Qaïda, il dit le faire pour «ôter les prétextes avancés par la communauté internationale» d'attaquer son organisation.
Construire Idleb
En 2017, il impose aux rebelles radicaux du nord de la Syrie, une fusion au sein de HTS et met en place une administration civile dans le bastion d'Idleb qu'il contrôlait dans le nord-ouest de la Syrie.
Au cours des dernières années, il s'était attelé à construire à Idleb un modèle de gouvernement efficace – même s'il était accusé d'exactions – qu'il tente de reproduire aujourd'hui à Damas.