Réalisateur légendaire aux tournages dantesques, homme des paris les plus fous, Werner Herzog n'a peur de rien. Surtout pas de l'intelligence artificielle, «trop stupide» pour faire de bons films, confie-t-il à l'AFP à l'occasion d'une rétrospective de son œuvre à Paris.
À 82 ans, l'Allemand a une actualité chargée: il présente jusqu'au 22 décembre au centre Pompidou à Paris une rétrospective de ses films les plus récents («Aventures des années 2010 et 2020»), sort mercredi prochain en salles un film réalisé à partir des archives des vulcanologues Katia et Maurice Krafft («Au cœur des volcans»), et publie ses mémoires, «Chacun pour soi et Dieu contre tous» (éditions Séguier).
«Trop stupide»
«L'intelligence artificielle tente d'écrire des scénarios. Elle peut le faire. Si ce sont des stéréotypes, elle peut y arriver. Ou même faire des films, mais elle n'arrivera jamais à faire des films aussi bons que les miens! L'intelligence artificielle est trop stupide pour ça», lâche-t-il.
Et à l'inverse de nombre de ses contemporains, le réalisateur des mythiques «Aguirre, la colère de Dieu» (1972), tourné périlleusement dans la jungle avec son acteur fétiche Klaus Kinski, ou «Fitzcarraldo» (1982), pour lequel il fit hisser un bateau de 300 tonnes au-dessus d'une montagne, ne pense pas que l'intelligence artificielle changera le monde du cinéma.
«Non, c'est un outil fantastique, mais pour des agents immobiliers. Vous êtes à Paris, et on vous propose une maison à Hawaï, il vous fait visiter, vous voyez derrière moi la cuisine, par la fenêtre à droite l'océan, à gauche un peu de jungle. Ça s'y prête totalement. Mais ce n'est pas un outil pour raconter des histoires.»
Pourquoi? «N'attendez pas que je vous explique, c'est compliqué!», coupe Werner Herzog. «Mais croyez-moi, vous n'allez pas y arriver (...) Il y aura des tentatives, mais elles vont toutes échouer.»
Trop fou pour ce monde?
Excentrique et génial pour les uns, complètement fou pour d'autres, Werner Herzog est l'un des plus grands noms du nouveau cinéma allemand, un touche-à-tout qui vit depuis des années aux États-Unis.
Inquiet des dégâts de la société de consommation sur l'environnement, celui qui est connu pour avoir mangé ses chaussures pour un pari raté revendique auprès de l'AFP n'en utiliser «littéralement plus qu'une seule paire», des chaussures de sport grises qu'il porte lors de l'interview. «Ce n'est pas complètement vrai, j'ai aussi des bottes de montagne, pour les terrains pierreux», reconnaît-il. «Et une paire de sandales pour la jungle!»
A Paris, il montre aussi bien un entretien au long cours avec l'ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, tourné avant son décès, que ses derniers films de fiction, «Bad Lieutenant: Escale à La Nouvelle-Orléans» avec Nicolas Cage ou «Dans l'oeil d'un tueur», avec Michael Shannon.
«C'est formidable que le public voie mes derniers films. Parfois les gens pensent que je n'ai plus jamais fait de film après «Fitzcarraldo», mais j'en ai fait au moins 27 depuis!», s'exclame le cinéaste, connu pour son goût pour les réprouvés et sa quête acharnée d'images inédites.
Aucune vanité ni ambition
Un film, tourné en 3D sur la découverte de la grotte Chauvet, lui tient particulièrement à cœur. «C'est là que s'est éveillée l'âme humaine, Homo Sapiens, Cro-Magnon, nous sommes les mêmes, nous créons des images, nous avons la musique, ils avaient aussi des instruments, des rituels, des funérailles...»
Comme les humains d'il y a 30'000 ans, Werner Herzog souhaite-t-il laisser une trace? «Je ne me préoccupe pas tellement de la postérité. Il n'y a ni vanité ni ambition chez moi», répond-il. Convaincu par sa famille que ses films appartenaient autant aux cinéphiles qu'à lui-même, il a cependant récemment créé une fondation chargée de les conserver. «Cela durera bien après ma propre existence, et je l'ai accepté. Comme une part de mon devoir de cinéaste.»