Un poison pour l'économie mondiale
Avec Donald Trump, une nouvelle ère très incertaine a déjà commencé

Depuis trois mois, Washington a changé le monde. La combinaison de droits de douane et d'une incertitude maximale est un poison pour l'économie mondiale. Cela a des conséquences graves pour le système financier et économique mondial et pour la Suisse.
Publié: 21.04.2025 à 06:20 heures
L'optimisme des PME après la victoire électorale de Donald Trump s'est bien vite évaporé.
Photo: keystone-sda.ch
Peter Rohner
Peter Rohner

La folie douanière de Trump a mené le système financier au bord du gouffre. Les partenaires commerciaux des Américains ont désormais jusqu'en juillet pour trouver un meilleur accord avec l'Oncle Sam.

Malgré l'abandon provisoire des droits de douane spécifiques à chaque pays, la charge douanière moyenne effective pour les Etats-Unis atteint son niveau le plus élevé depuis 1903, comme l'a calculé l'institut de recherche indépendant des partis Yale Budget Lab. Le dollar et les obligations d'Etat américaines ne sont plus des valeurs refuges pour les investisseurs étrangers.

Alors qu'en mars encore, il était question d'un affaiblissement de la conjoncture et d'un risque croissant de récession américaine, nous pouvons désormais presque nous réjouir si le gâchis ne débouche «que» sur une récession.

Une guerre qui touche la Suisse de plein fouet

Pour l'heure, le scénario d'horreur d'un mur douanier américain ne s'est pas encore réalisé en Suisse, mais nous sommes loin d'être tirés d'affaire: les droits de douane spécifiques à chaque pays de plus de 30% sont pour le moment suspendus, pas supprimés. Il n'est pas certain que les contre-arguments et les promesses d'investissement de la Suisse rendent les Américains fanatiques à l'idée d'instaurer des droits de douane plus cléments.

En tant que petite économie, la Suisse est particulièrement exposée à la guerre commerciale entre les grandes puissances mondiales. A l'heure actuelle, les Etats-Unis imposent des droits de douane allant jusqu'à 145%, sur les importations chinoises par exemple. De son côté, la Chine a relevé ses droits de douane à 125%.

Si cette montée en puissance réciproque ne nous touche pas encore directement, des dommages indirects pourraient se produire au fur et à mesure du conflit, parce que les chaînes d'approvisionnement mondiales s'interrompent ou parce que le ralentissement de la conjoncture mondiale s'accentue en raison des incertitudes liées au conflit douanier. L'escalade entre les Etats-Unis et la Chine représente donc un risque bien plus élevé que le droit de douane de 10% sur les exportations suisses.

Les entreprises claquent des dents

Il n'est toutefois pas encore question de récession dans notre pays. Même les entreprises industrielles ont signalé une certaine reprise dans les derniers jours.

Mais cela devrait bientôt changer. C'est ce qu'indiquent les nombreux appels à la ligne téléphonique de l'association industrielle Swissmem, qui n'avait pas été aussi active depuis la pandémie de Covid-19. Le va-et-vient donne également du fil à retordre à de nombreuses entreprises, notamment les plus petites.

«L'incertitude est un poison pour les investissements, et nos machines sont un bien d'investissement classique», déclare Guy Petignat, propriétaire et directeur de Falu SA, qui fabrique des machines pour la production de cotons-tiges et de tampons. 

Le côté obscur de la mondialisation

L'incertitude douanière est une chose, la menace d'un effondrement de la demande à l'étranger en est une autre. Si, comme on le craint, les Etats-Unis entrent en récession et mettent ainsi la zone euro en difficulté, la Suisse ne sera pas épargnée. Depuis les années 1980, chaque récession américaine a tôt ou tard entraîné un recul de notre PIB. C'est le côté obscur de la mondialisation.

Le moral des consommateurs est en berne et l'optimisme qui avait fait rage parmi les PME après la victoire électorale de Trump s'est bien vite évaporé. La grande banque américaine Goldman Sachs a lancé un avertissement de récession aux Etats-Unis peu après l'annonce des droits de douane. Elle estime désormais que les chances sont de l'ordre de 50/50 et s'attend encore à une minicroissance de 0,5% cette année. 

Les craintes de récession sont également la principale raison de la panique boursière. Elles s'accompagnent de craintes de stagflation. Dans ce cas-là, l'économie stagne, mais les prix à la consommation augmentent. Selon les prévisions des banques, l'inflation américaine devrait dépasser les 3% en raison des droits de douane.

A la recherche de nouveaux compagnons de route

Une question fondamentale est maintenant sur toutes les lèvres: les Etats-Unis sont-ils encore un partenaire fiable? De quelle autre surprise un gouvernement qui menace le monde entier avec une formule aussi dilettante est-il capable? Cette rupture de confiance est évidente sur le marché des changes et sur les emprunts d'Etat américains.

Le dollar s'est affaibli ces dernières semaines, et non pas comme il le fait habituellement en cas de crise. Les obligations d'Etat américaines ont également perdu leur statut particulier: après une première baisse attendue, les rendements ont grimpé en flèche, car il y a eu plus d'achats que de ventes.

De tels mouvements ne sont pas le résultat d'une petite horde d'investisseurs qui se contaminent mutuellement via les réseaux sociaux. Pour faire bouger ainsi un marché de près de 30 billions de dollars, il faut des acteurs importants: des gestionnaires de fortune, des compagnies d'assurance ou des gestionnaires de réserves des banques centrales. Tous s'inquiètent de savoir s'ils veulent continuer à détenir autant de dollars. Les pays émergents asiatiques des années 1997/1998 se sont effondrés à cause de telles dépendances, lorsque les investisseurs américains ont subitement coupé le cordon.

Les vieux soucis de la BNS

Le cours dollar-franc suisse est tombé ces jours-ci à 81,5 centimes, sa valeur la plus basse depuis la crise de la dette de l'euro en 2011. Pour l'économie suisse et la Banque nationale, le cours euro-franc suisse est toutefois plus important.

Toutefois, une nouvelle baisse de l'euro donne des sueurs froides au chef de la BNS, Martin Schlegel. Il a déjà baissé deux fois les taux directeurs, de 0,75 point de pourcentage au total, pour les ramener à 0,25% actuellement. Il ne lui reste plus beaucoup de munitions. Et le deuxième instrument de sa politique monétaire, à savoir l'intervention sur le marché des changes, n'est pas non plus une option solide au vu des accusations récurrentes de manipulations américaines.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la