Les bouleversements du commerce mondial entraînés par les décisions du 4 avril de Donald Trump ne font pas que des malheureux. La Chine s'estime peu dépendante des Etats-Unis et capable de développer un vaste potentiel commercial avec la Suisse et l'Union européenne (UE). Blick a échangé avec Mao Jun, chargé d'affaires à l'ambassade de Chine à Berne, alors que nos deux pays fêtent leurs 75 ans de relations.
Mao Jun, quelle est votre appréciation de la politique douanière de Donald Trump?
La position de la Chine est claire et ferme. La Chine s’oppose résolument à cette politique. C’est un acte typique d’unilatéralisme, de protectionnisme et d’intimidation économique. Les Etats-Unis, sous prétexte de réciprocité et d’égalité, utilisent une formule de calcul absurde. Il n’existe pas de réelle réciprocité dans cette politique. L’Amérique veut poursuivre l’idée d’America First et l’exceptionnalisme américain.
Avec quelles conséquences, selon vous?
Cette politique porte gravement atteinte aux intérêts et au droit qu'ont tous les pays à se développer, et nuit gravement au système commercial multilatéral. Il est naturel que cette politique suscite une opposition universelle dans le monde, y compris aux Etats-Unis.
Washington voudrait-il rendre illégaux les excédents commerciaux vis-à-vis des Etats-Unis?
Ce n’est pas logique. Par cette politique, ils s’opposent au reste du monde.
La Chine a-t-elle fini de répliquer aux Etats-Unis ou compte-t-elle prendre d’autres mesures?
La pression, la menace et le chantage ne marchent pas avec la Chine. Nous ne voulons pas une guerre commerciale, mais nous ne resterons pas les bras croisés si les droits et intérêts légitimes de notre pays sont violés.
Que ferez-vous?
La question est la suivante: si on se plie inconditionnellement à la politique américaine, est-ce possible qu’on préserve nos intérêts? C’est une illusion. D’ailleurs les USA ne sont pas tous les pays.
Que représente le marché américain pour votre économie?
Les exportations vers les Etats-Unis ne représentent que 13% à 14% de nos exportations totales, et le pourcentage a diminué au fil des ans. Cela ne représente que 3% à 4% de notre PIB. Nous avons un immense marché de consommation avec un tissu industriel le plus complet du monde. Biensûr cette politique a un impact négatif, mais on a confiance qu’on peut contrôler cet impact.
La Chine aurait vendu des bons du Trésor américain depuis le 4 avril. Est-ce pour vous un outil de négociation?
Je ne suis pas au courant de cette information. Ce que je peux vous dire est que nous avons suffisamment de moyens pour défendre nos intérêts dans des négociations éventuelles.
La Chine a aussi dévalué sa monnaie, est-ce dans le même but?
On ne contrôle pas et on ne manipule pas le taux de change. C’est une réaction du marché. Depuis le début de l’année, le taux de change du yuan contre les devises étrangères reste globalement stable. Bien sûr il y a une certaine dévaluation, mais c’est une réaction normale du marché face à ce qui se passe.
Pensez-vous que la Chine peut faire reculer les Etats-Unis sur la guerre douanière?
Nous ne voulons pas de guerre commerciale, donc la porte des négociations est ouverte. Mais on ne peut entamer de négociations que sur une base d'égalité, de respect et de bénéfice mutuel. L’administration américaine se déclare ouverte à négocier à présent. Il sera donc intéressant de voir ce qui se passe ensuite. Comme ce sont eux qui ont déclenché cette guerre tarifaire, ils devraient supprimer en premier les prétendues taxes douanières «réciproques», et revenir sur la bonne voie du dialogue pour régler les divergences.
Etes-vous surpris par les droits de douane imposés par les USA à l’Europe et à la Suisse?
Oui et non. Oui, parce que l’Europe comme la Suisse ont de très bons arguments pour être épargnés de ces taxes douanières. Non, parce qu’on a pu voir l’attitude américaine affichée depuis janvier, à Bruxelles, à Munich, face aux alliés européens. Je ne suis donc pas surpris en ce sens.
Cette posture de Donald Trump va-t-elle profiter à la Chine en la rendant attrayante pour l’Europe?
L’Europe, la Suisse, comme la Chine, sont bénéficiaires de la mondialisation économique et du libre-échange. Et la coopération entre la Chine et l’UE revêt une portée stratégique, importante. La Chine et l’UE représentent ensemble plus d’un tiers de l’économie mondiale. Nos volumes d’échanges atteignent 780 milliards de dollars par an. L’UE figure parmi les 3 premiers partenaires commerciaux de la Chine. Les relations sino-européennes et sino-suisses ne se subordonnent pas à une tierce partie ni ne dépendent d’une tierce partie.
L'UE est-elle sur la même longueur d'ondes que vous?
Il y a quelques jours, notre Premier Ministre a eu un entretien téléphonique avec la Présidente de la Commission européenne, Mme Von der Leyen, et les deux ont convenu de sauvegarder conjointement le commerce libre et ouvert. On espère que la coopération entre la Chine et l’UE et entre la Chine et la Suisse apporte plus de stabilité et de certitude à l’économie mondiale.
A votre avis, les relations Chine-Suisse sont-elles bonnes actuellement?
Cette année marque le 75ème anniversaire de la relation entre la Suisse et la Chine. Ces dernières années, notamment après la visite de M. le Président Xi Jinping en Suisse, notre relation a connu un développement rapide. Les échanges de haut niveau ne cessent de s’intensifier, et la coopération pragmatique dans tous les domaines a porté des fruits notables. En 2024 nous avons lancé les négociations sur l’optimisation de notre accord de libre-échange. Nous avons proposé une politique d’exemption de visa à l’égard des citoyens suisses pour encourager plus d’échanges. Avec la Suisse, nous souhaitons porter cette coopération à un plus haut niveau pour les prochains 75 ans.
Le commerce entre la Chine et la Suisse peut-il croître davantage?
Notre volume d’échanges commerciaux avoisine les 60 milliards de dollars. La Chine est devenue le 3ème partenaire commercial de la Suisse sur 11 années consécutives. Le volume a toujours augmenté à un bon rythme depuis l’entrée en vigueur de cet accord. Les négociations sur la modernisation de cet accord sont en cours.
Quels domaines de coopération sont les plus porteurs?
Nous voulons œuvrer pour promouvoir davantage la coopération en matière de commerce des biens, des services, et d’investissement. Les entreprises suisses sont toujours les bienvenues en Chine. La coopération est aussi prometteuse en matière d’IA, d’économie numérique et d’économie verte. La Chine est leader mondial sur l’IA, et la Suisse est un partenaire compétitif et novateur. Nous partageons des points de vue communs en matière de régulation de l’IA. En juillet prochain, la Chine va organiser une conférence internationale sur l’IA à Shanghai, et la Suisse est invitée à y participer.
Diriez-vous que la Suisse est trop dépendante des Etats-Unis pour ses exportations?
La Suisse est une économie hautement tournée vers l’extérieur. Nous constatons qu’elle a signé des accords avec de grandes économies émergentes récemment, comme l’Inde, la Thailande et la Malaisie. Nous apprécions les efforts de la Suisse de poursuivre une stratégie de diversification des marchés et de construire un réseaux avec des partenaires commerciaux stables et prévisibles.
Si la Chine ne doit-elle pas sa compétitivité à l’exploitation de la main d’œuvre dans des conditions qui violent les droits humains?
C’est une fausse problématique. Comment la Chine a-t-elle pu réaliser une telle stabilité sociale et un tel développement économique à long terme? Notre compétitivité ne peut pas être portée par les violations des droits humains. Il y a toujours des forces anti-chinoises qui fabriquent des mensonges sur l’existence du travail forcé ou les violations des droits de l’homme en Chine. L’objectif est d’endiguer le développement des industries chinoises et de contenir le développement du pays.
Mais le fait que l’on veuille nuire à la compétitivité chinoise n’exclut pas que l’argument de départ soit vrai?
Dans le monde occidental, il y a toujours de la désinformation à ce sujet. Est-ce que ces gens qui accusent la Chine se sont rendus dans ce pays? Ont-ils constaté ces phénomènes de leurs propres yeux? Nous invitons nos amis, y compris suisses, à voyager en Chine et à voir de leurs propres yeux ce qui se passe là-bas. Selon une étude de l’Université de Harvard, le taux de satisfaction du peuple chinois à l’égard du gouvernement dépasse les 90%.
Ces violations de droits humains ne sont-elles pas nuisibles à votre commerce au final? Il y a des critiques au sujet des conditions de travail chez Shein, Temu et d’autres...
Les niveaux de salaires ne se comparent évidemment pas aux salaires suisses, nous sommes toujours un pays en développement. Les pays qui ont déjà occupé le haut de la chaîne de valeur, comme les Etats-Unis, veulent à présent relocaliser les industries manufacturières chez eux, ils veulent toute la chaîne de valeur, du haut vers le bas. Mais ce sera exorbitant. Chaque pays a ses circonstances et son niveau de développement. Il faut penser à tout le monde, pas seulement à soi-même.
Croyez-vous au potentiel de croissance supérieur du groupe des BRICS (Brésil, Inde, Russie, Chine et Afrique du Sud)?
Le mécanisme des BRICS a vu le jour avec l’essor collectif des pays émergents. Maintenant, leur population pèse 40% du globe, leur poids est de 37% dans l’économie mondiale, et de 20% dans le commerce international. Entre eux, il existe un immense marché qui recèle encore un fort potentiel de développement. Nous sommes prêts à travailler avec les autres pays des BRICS pour développer une coopération pragmatique,
Avec quelles valeurs communes?
L’esprit d’ouverture, d’inclusivité et une approche gagnant-gagnant. Nous préconisons une multipolarité équitable et ordonnée, et une mondialisation bénéfique pour tous. C’est notre objectif.
Que répondez vous à ceux qui objectent que les BRICS sont désunis, avec trop d’intérêts divergents?
Cette approche ouverte et win-win va profiter non seulement aux pays membres, mais aussi au reste du monde. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de pays en développement ont l’intention d’adhérer à ce mécanisme ou de renforcer les échanges et la coopération avec ce mécanisme.