Les consommateurs ont de quoi se réjouir
Le franc suisse est au plus haut: une calamité ou une aubaine?

La devise helvétique bat des records face à l'euro et au dollar. Malédiction pour les exportateurs, c'est une bénédiction pour les consommateurs… et les frontaliers.
Publié: 08:59 heures
Malgré les efforts de la BNS pour l'affaiblir, le franc est au plus haut.
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste Blick

Sans grande surprise, le franc suisse a touché ses plus hauts niveaux de tous les temps face au dollar et à l’euro la semaine dernière. Il a culminé le 10 avril à son record historique, à 0,9273 pour 1 euro, avant de glisser légèrement. Le même jour, le dollar aussi tombait à son point le plus bas face au franc suisse, à 0,8141 franc pour 1 dollar. Avec ce paradoxe: la Banque nationale suisse (BNS) a le taux directeur le plus bas parmi les grandes banques centrales (0,25%), tout en ayant – malgré cela – la monnaie la plus forte du monde. Quand le franc crève ainsi le plafond, est-ce une chance ou un fléau pour la Suisse? Blick fait le point en 3 questions.

1

Pourquoi le franc est-il si haut?

En cause: l’insécurité mondiale causée par la politique commerciale erratique de Donald Trump depuis le 4 avril, faite d'incertitudes et de revirements. Cette instabilité incite une partie des investisseurs à sortir du dollar, pour aller se réfugier dans le franc suisse. La monnaie helvétique reste perçue comme l’une des monnaies les plus sûres et stables de la planète, et elle prend l'ascenseur à chaque crise. En raison des politiques de dévaluation de l'euro et du dollar, le franc suisse peine ensuite à s'affaiblir contre les principaux partenaires commerciaux de la Suisse. La force du franc: une fierté, mais aussi une fausse bénédiction dans bien des cas pour l’économie suisse.

2

Qui sont les perdants?

«Les perdants, ce sont les exportateurs helvétiques, au niveau des biens mais aussi des services comme le tourisme, explique John Plassard, directeur et spécialiste en investissements à la banque Mirabaud. Car la Suisse devient une destination chère pour les touristes Européens et Américains» En effet, chaque appréciation du franc contre l’euro ou le dollar renchérit d’autant les produits et services suisses pour ces pays.

Les exportateurs helvétiques souffraient déjà de l’annonce des droits de douane américains de 31%. Même s’ils sont en partie suspendus pour 90 jours, des droits de douane de base de 10% s’appliquent déjà depuis le 5 avril. Depuis le 25 mars, des droits de douane américains de 25% s’appliquent en outre sur l’aluminium et l’acier. 

La perdante est aussi la BNS, qui s'est efforcée d'affaiblir le franc depuis des années, sans succès. Aujourd'hui, une nouvelle intervention de la BNS est souhaitée notamment par la faîtière Swissmem (industrie des machines, des équipements électriques et des métaux). Mais pour John Plassard, la boîte à outils de la BNS est limitée: si elle vend massivement des francs sur le marché, le Trésor américain pourrait la remettre, comme en 2023, sur la liste des pays «manipulateurs de monnaie». Et l'administration Trump n'hésitera pas à le faire, elle qui reproche déjà à la Suisse ses excédents commerciaux.

Quant au taux directeur de la BNS, déjà très bas à 0,25%, il n'est plus qu'à quelques pas des taux négatifs. John Plassard estime qu'une politique de taux négatifs ne serait pas un game changer, comme l'histoirie récente (2014-2022) l'a montré. 

3

Qui sont les gagnants?

Les gagnants sont les consommateurs suisses. «La vigueur du franc a agi comme un rempart face à l’inflation importée et nous rend moins tributaires de ce qui se passe ailleurs, notamment en Europe et aux Etats-Unis, où les anticipations d’inflation sont très importantes», répond John Plassard. 

Autres gagnants, les investisseurs en actifs libellés en franc suisse: lorsqu’ils vendront ces actifs et les convertiront dans leur monnaie de référence (euro ou dollar par exemple), ils auront généré une plus-value sur les changes. 

Mais les gagnants incontestés sont aussi les frontaliers, dont le pouvoir d’achat est monté en flèche depuis que le franc suisse s’apprécie contre l’euro. Ce dont témoigne ce frontalier heureux, arrivé début 2018 en Suisse: «entre avril 2018, quand l’euro valait 0,83 pour 1 franc, et sa valeur aujourd’hui de 1,07 pour 1 franc, l’appréciation du franc m’a généré une augmentation de salaire de 26% en sept ans, sans même que mon salaire ait bougé.»

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