La Crimée a connu une histoire tumultueuse. Proclamée république populaire par les Tatars en 1917, puis république autonome au sein de l'Union soviétique en 1921, elle est devenue une république autonome au sein de l'Ukraine avec l'effondrement de l'Union soviétique en 1992. Mais en 2014, la péninsule a été annexée par la Russie. Illégalement.
L'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 a remis la péninsule de la mer Noire sur le devant de la scène, en tant que pomme de discorde entre les deux belligérants.
L'Ukraine et la Russie font dépendre leurs futures négociations du statut de la Crimée, toutes deux ne lâchant pas prise sur la région. «Pour la Russie, la Crimée est un lieu hautement émotionnel, explique l'expert Ulrich Schmid. Du point de vue russe, la Crimée est le berceau de l'orthodoxie russe et donc de sa culture.» La péninsule est également, et depuis des siècles, un lieu de villégiature très apprécié. Depuis 2014, la ville de Sébastopol a une importance fédérale que seules Moscou et Saint-Pétersbourg partagent.
L'Ukraine et la «menace permanente» de la flotte russe
Mais l'Ukraine s'intéresse également de près à la péninsule. «La flotte russe de la mer Noire à Sébastopol est une menace permanente pour la sécurité ukrainienne», explique Ulrich Schmid. Mais selon le slaviste, il s'agit aussi d'une revendication territoriale pure et simple: «En droit international, la Crimée appartient toujours à l'Ukraine.»
Reste à savoir si et dans quelle mesure la Crimée fera partie des futures négociations de paix entre l'Ukraine et la Russie. Lors des protocoles de Minsk en 2014, lorsqu'un cessez-le-feu a été conclu dans le Donbass, la Crimée a été exclue. «Il en sera probablement de même dans les futures négociations», estime Ulrich Schmid.
Les habitants de la Crimée sont aussi partagés le pays d'appartenance de leur péninsule. «En 1991, lors d'un référendum sur l'indépendance, une majorité des habitants de Crimée s'est prononcée pour l'appartenance à l'État ukrainien», explique le spécialiste. Et de poursuivre: «La Crimée dispose d'un statut d'autonomie en Ukraine, qui était inscrit dans la constitution ukrainienne.» D'un autre côté, de nombreux officiers russes à la retraite se sont installés en Crimée après la Seconde Guerre mondiale. Leurs valeurs patriotiques seraient encore largement répandues parmi leurs descendants.
La population est divisée
Depuis l'annexion en 2014, la Russie s'est donné beaucoup de mal pour rendre la vie en Crimée attractive. «L'objectif était de montrer à la population locale qu'il fait mieux vivre en Russie qu'en Ukraine», avance Ulrich Schmid. La population est donc divisée: une partie veut être indépendante de la Russie, l'autre est favorable à l'amélioration des infrastructures et veut continuer à être protégée par le Kremlin.
«Beaucoup d'Ukrainiens ont eu tendance à se résigner à la perte de la Crimée», explique Dominik Knill, président de la Société suisse des officiers, à propos de la mentalité en Ukraine. Mais si la population est divisée, il est clair pour Kiev que la Crimée fait partie de l'Ukraine. Lorsqu'il s'agit des conditions de la paix, Volodymyr Zelensky ne cesse de répéter: «La reconquête de toute l'Ukraine, Crimée comprise, reste un objectif de guerre.»
La Crimée est bien protégée militairement en raison de son importance pour la Russie: des lignes de défense solides y ont à nouveau été construites récemment. Mais au Kremlin, on regarde avec inquiétude le cœur de la mer Noire. Selon les services secrets britanniques, les attaques de drones ne sont plus lancées depuis la Crimée, mais depuis la région de Krasnodar, au sud de la Russie. Londres interprète cela comme un signe de vulnérabilité de Moscou.
Une offensive pourrait arriver
Dominik Knill remarque également un changement. «Une offensive des Ukrainiens en direction de la Crimée est imminente, avec une probabilité considérable, dit-il. Un renforcement des positions défensives est la conclusion logique pour l'armée russe.»
Mais la reconquête de la Crimée représente une mission herculéenne. «Actuellement, l'armée ukrainienne n'a pas les moyens militaires de reconquérir la Crimée», estime l'officier. Il manque du personnel et des armes. «Une avancée ukrainienne vers le sud perturberait, voire interromprait les lignes d'approvisionnement», nuance-t-il néanmoins. Moscou devrait naturellement répondre militairement à une attaque ukrainienne sur ce qu'elle considère comme un territoire russe – une tâche également difficile à l'heure actuelle.
Au final, Dominik Knill en est certain, ce sont les négociations de paix qui décideront de l'avenir de la Crimée: «De plus en plus, la Crimée devient un gage de négociation.» Sans un cessez-le-feu autour de la péninsule, les négociations de paix ne seront guère possibles.