Israël a tué en l'espace de quelques heures le commandant le plus haut placé du Hezbollah, Fouad Choukr, au Liban, et le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran. A quelle réaction vous attendez-vous, Reinhard Schulze?
L'ambiance au Proche-Orient montre qu'un point de basculement a été atteint. Les acteurs sont désormais si proches du gouffre qu'ils n'ont en fait que deux possibilités: Soit ils reculent clairement, soit ils sautent. Si l'on regarde les mesures de sécurité prises actuellement en Israël, on s'attend au pire.
Les Etats-Unis envoient des navires de guerre et des avions de combat, Téhéran rejette apparemment toutes tentatives de médiation. L'escalade peut-elle encore être stoppée?
L'envoi des navires et des avions doit empêcher une escalade, par la dissuasion. L'efficacité de cette mesure ne doit pas être sous-estimée. Mais des doutes subsistent quant à la capacité de l'Iran et de ses alliés à se laisser dissuader. Les renforts représentent donc un gain de temps, car les Iraniens devront d'abord s'adapter à cette situation militaire. Il faut en outre tenir compte du fait que, contrairement à la dernière attaque de représailles contre Israël en avril, le régime iranien ne laissera pas cette fois l'initiative aux Gardiens de la révolution, mais se servira probablement des forces armées régulières.
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Qu'est-ce que cela signifie?
Les forces armées régulières ne sont certes pas considérées comme aussi bien entraînées et motivées idéologiquement que les Gardiens de la révolution, mais elles ont une plus grande capacité de combat technologique.
Que signifierait pour le monde l'éclatement d'une nouvelle guerre au Proche-Orient?
Outre la guerre en Ukraine, le Proche-Orient risque de connaître une autre guerre d'importance mondiale. Ce que l'on oublie en partie, c'est le rôle des pays arabes, comme la Syrie. Ils sont considérés comme des spectateurs du conflit. Il est pourtant difficile d'imaginer un conflit militaire dans lequel les Etats arabes ne seraient pas impliqués. Lorsqu'Israël a attaqué l'ambassade iranienne en Syrie en avril, les Gardiens de la révolution ont réagi en lançant des centaines de drones et de missiles sur Israël. Mais la situation actuelle a encore pris une autre tournure. Cela m'inquiète beaucoup.
Que craignez-vous?
L'action irréfléchie d'un seul acteur pourrait créer une situation incontrôlable qui mènerait à une escalade en cascade. Le Guide suprême Ali Khamenei pourrait décider de sauter dans l'abîme dans l'espoir que l'Iran trouve d'autres partenaires d'alliance dans une guerre contre Israël. Il rêve peut-être que la Turquie ne puisse alors plus faire autrement que d'intervenir militairement.
Selon les médias, Ali Khamenei aurait déjà ordonné une attaque directe contre Israël.
C'est ce qu'affirme le «New York Times», des sources iraniennes n'ont pas encore confirmé cette information. Il est clair qu'Ali Khamenei est soumis à une énorme pression. L'image des Gardiens de la révolution est également fortement ternie en Iran. Le fait qu'une bombe ait explosé à Téhéran, tuant un invité de marque, ébranle le pays.
Que signifie l'attentat de Téhéran pour le Guide suprême Ali Khamenei?
C'est une humiliation, une perte de face pour l'Iran et une immense honte pour les Gardiens de la révolution. Ils ne sont plus maîtres chez eux. Il faut s'imaginer la situation: L'armée israélienne laboure depuis des mois la bande de Gaza et n'a malgré tout pas pu trouver le chef du Hamas Yahya Sinwar, considéré comme le planificateur des attentats du 7 octobre. Mais au cœur de Téhéran, Israël a réussi à tuer de manière ciblée le chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh dans une maison d'hôtes hautement sécurisée par les troupes d'élite iraniennes. Cela révèle des faiblesses massives dans l'appareil de sécurité de Téhéran.
Quel sera l'impact sur la suite des événements au Proche-Orient?
Ce qui s'est passé a une nouvelle fois considérablement terni l'image des Gardiens de la révolution. Il y a donc un risque qu'Ali Khamenei tente de dissimuler son propre échec par le biais d'une forte réaction militaire. Il faut probablement s'attendre à une action coordonnée du Hezbollah, du Hamas et de la résistance islamiste en Irak. Reste à savoir si les rebelles Houthis au Yémen se joindraient à une attaque contre Israël.
Le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh, qui a été tué, était considéré comme une figure clé pour un cessez-le-feu dans la guerre de Gaza. Israël a-t-il sciemment torpillé les négociations à ce sujet?
En Israël aussi, des voix s'élèvent pour demander si Netanyahu a sciemment voulu provoquer une escalade de la part de l'Iran en choisissant le lieu et le moment de l'attentat. Car une fin rapide de la guerre de Gaza signifierait probablement sa fin politique. Une chose est sûre: pour les otages israéliens qui sont toujours aux mains à Gaza, l'évolution est catastrophique. Leur libération est devenue encore plus improbable.