Le jeudi 8 août, un homme souffrant de troubles psychiques aurait tué une femme de 75 ans dans le quartier bâlois de Breite. Dix ans plus tôt, Raphael M.*, 32 ans, avait déjà assassiné deux femmes et grièvement blessé un homme âgé dans le même quartier. Le jour du crime, Raphael M. était en permission de sortie non accompagnée.
Comment en est-on arrivé là? La conférence de presse de la clinique compétente et des conseillers d'Etat impliqués n'a pas permis de clarifier la situation. Des politiciens de l'UDC demandent déjà davantage d'internements et une limitation des libérations non accompagnées. Quels sont les développements possibles?
Thomas Manhart, chef de l'Office zurichois de l'exécution des peines jusqu'en 2019, a lui-même vécu plusieurs cas similaires, parfois graves. Il fait le point.
Qu'est-ce qui vous est passé par la tête lors de l'homicide à Bâle?
Cela nous affecte bien sûr et nous rappelle nos propres cas. À commencer par le meurtre de Zollikerberg en 1993 ou celui de Wetzikon en 2007, lorsqu'un libéré conditionnel a poignardé un chauffeur de taxi. On se dit toujours, espérons que cela n'arrive jamais, jamais plus. On peut dire que lors de ces graves récidives, une culture de la peur et un sentiment d'impuissance s'installent. C'est ce que j'ai toujours vécu: la peur à chaque décision d'assouplissement, la peur de la discussion publique, la peur pour sa propre peau et pour tout un système qui fonctionne en fait plutôt bien.
Comment évaluez-vous cela? Comment cela a-t-il pu se produire?
Lors de la conférence de presse, il est apparu clairement que l'ensemble de l'exécution des mesures est un processus très complexe. On parle de deux douzaines de personnes qui y participent. Il peut y avoir des erreurs au sein de ce processus. Mais les processus sont si fortement structurés qu'il me semble peu probable que quelque chose se soit mal passé. La médecine légale bâloise jouit d'une excellente réputation. Malgré tout, la question de savoir comment cette erreur d'appréciation a pu se produire reste ouverte. Apparemment, toutes les personnes concernées pensaient que l'on était en bonne voie.
Comment peut-on se tromper à ce point?
Les tribunaux sont très réticents à ordonner l'internement d'un jeune délinquant. Mais il est possible que l'estimation faite à l'époque, à savoir qu'il suivrait une thérapie en institution, ait été trop optimiste. C'est d'ailleurs ce que laisse supposer la durée de la thérapie de dix ans, supérieure à la moyenne. Peut-être était-il également erroné de prolonger une nouvelle fois la mesure stationnaire après cinq ans au lieu d'ordonner l'internement.
Jusqu'à présent, de nombreux éléments indiquent qu'il a fait ses preuves au fur et à mesure de cette thérapie.
En médecine légale, il existe la notion de double comptabilité: si un délinquant a une certaine intelligence, il sait, après plusieurs années de thérapie, ce qu'il doit faire pour que celle-ci semble réussie. Il apporte ce qu'on attend de lui, mais au fond de lui, il reste fidèle à ses attitudes. On ne peut que spéculer. Il a dû se passer quelque chose dans sa vie intérieure qu'aucun thérapeute n'a reconnu et avec lequel il a pu tromper tout le monde.
Cela arrive-t-il souvent?
Marc Graf, expert en médecine légale, estime qu'environ 80 personnes sont libérées chaque année de l'exécution des mesures et qu'il n'y a de récidive grave que tous les dix ans environ – autrement dit, dans un cas sur 800, quelque chose se passe mal. Si l'on ne veut plus prendre de risques, il faudrait donc en garder 799 à tort dans l'exécution.
On ne peut donc rien faire?
Je pense que le système a fondamentalement fait ses preuves. Un défaut du système réside tout au plus dans le fait que, dans certaines circonstances, on pose rapidement un rail dans une certaine direction lors de la prise de décision. Si tout va bien, tout le monde se confirme mutuellement: conseillers, experts, assistants sociaux, psychologues, psychiatres. Il en va de même dans les cas où les choses ne se passent pas bien. Au final, la commission dite spécialisée devait apporter un point de vue extérieur indépendant. Celle-ci a été mise en place après le meurtre de Zollikerberg en tant qu'assurance qualité importante.
L'année dernière, la commission d'experts a examiné près de 100 cas...
Un nombre important qui n'est possible que parce que la commission d'experts travaille uniquement sur la base de dossiers pour prendre ses décisions. Elle n'a jamais vu le prévenu. Si le dossier est rempli de messages, de rapports et d'expertises positives, comment peut-on arriver à un autre résultat? Dans ces cas graves, il manque un véritable regard extérieur. Il serait important que la commission d'experts entende personnellement le délinquant et se fasse sa propre idée de lui. De plus, la commission est composée non seulement de médecins légistes, mais aussi de procureurs ou de juges. Certains manquent tout simplement de compétences professionnelles pour évaluer la dangerosité des délinquants.
Les libérations sont-elles fréquentes dans le cadre d'une mesure stationnaire?
Les libérations font partie du déroulement normal. Une mesure stationnaire réussie doit tôt ou tard évoluer vers un assouplissement, voire une libération. La mesure est limitée à cinq ans; en fait, la thérapie et la réinsertion sociale devraient être réalisables en cinq ans – sinon, il faut la prolonger à nouveau de cinq ans ou interner le délinquant.
Que faut-il pour qu'un double meurtrier puisse bénéficier d'une libération non accompagnée?
Il faut un rapport thérapeutique positif, des progrès, une bonne conduite, ainsi qu'une expertise favorable, l'accord de la commission spécialisée et enfin une décision correspondante de l'autorité pénitentiaire. Tous les acteurs doivent dire oui. Je suppose qu'il n'a guère bénéficié de permissions de sortir non accompagnées au cours des cinq premières années. Au cours de la première prolongation, on a probablement assoupli lentement les choses avec soin.
Qu'est-ce qui a changé au cours des 30 dernières années dans l'exécution des peines? Que fait-on mieux aujourd'hui?
D'une part, l'exécution des sanctions est devenue plus structurée, plus scientifique. D'autre part, les normes de formation sont nettement plus élevées: là où d'anciens policiers âgés organisaient l'exécution des mesures, ce sont désormais des spécialistes ayant étudié le travail social et suivi une formation complémentaire en gestion des risques. Mais en même temps, on est devenu beaucoup plus restrictif: la règle est In dubio pro securitate – en cas de doute, c'est la sécurité qui prime. C'est pourquoi il y a, à mon avis, plus d'erreurs d'appréciation en défaveur des détenus qu'en faveur des détenus. Je suis convaincu qu'il y a trop de gens en prison qui pourraient être libérés sans problème.
* Nom connu