Colère, déception et inquiétude. Voilà les principales émotions que relate le Dr David S. Glosser après le fulgurant come-back de Donald Trump. En même temps que des millions d’autres Américains, l’éminent neuropsychologue retraité a suivi la présidentielle avec effroi, alors que le scénario qu’il redoutait se réalisait à toute vitesse sous ses yeux. «Même si je n’ai jamais osé me sentir follement optimiste quant aux chances de Kamala Harris, j’avais quand même de l’espoir», nous précise-t-il par Zoom.
Comment ce natif de Johnstown, en Pennsylvanie, se sent-il, quelques jours après l’élection? «C'est inquiétant de constater qu'autant de mes concitoyens sont prêts à risquer la démocratie américaine, mais ce n’était pas une surprise absolue. Les sondages prévoyaient un coude à coude, mais ayant travaillé en tant que sondeur au début de ma carrière, je suis bien placé pour savoir qu’il ne s’agit pas d’une science exacte.» Lorsque ses amis lui demandaient son avis sur l’issue du 5 novembre, il répondait simplement: «Je n’en sais pas plus que vous.»
Or, David Glosser avait déjà réfléchi à des plans B, au cas où le candidat républicain venait à remporter la victoire: «J’ai la chance de pouvoir me permettre de prévoir des alternatives et, avec mon épouse Clarisse, originaire du Valais, nous avions plusieurs fois discuté de nous expatrier en Suisse si Trump gagnait.»
Oncle d’un conseiller de Donald Trump
Car l’élection a écorché une corde sensible chez l’Américain, résidant près de Philadelphie, très touché par les questions liées à l’immigration. Oncle de Stephen Miller, un ancien proche conseiller de Trump, David Glosser a souvent exprimé son courroux envers l’intransigeante politique anti-immigration de son neveu. Dans une tribune rédigée pour «Politico» en 2018, il martelait notamment que «Stephen Miller est un hypocrite», révélant que leur famille avait été contrainte de quitter ce qui constitue désormais la Biélorussie pour se réfugier aux États-Unis, en 1903.
«Les 74 membres de notre famille n'ayant pas été autorisés à entrer sur le sol américain ont tous été tués durant la Seconde Guerre mondiale», ajoute notre interlocuteur, qui offre aujourd'hui ses services de neuropsychologue à des centres de soutien aux réfugiés, en tant que bénévole.
«M'expatrier est la dernière chose que j'ai envie de faire»
Savoir que le camp Trump s’apprête à ressaisir les manettes, après avoir promis d’«expulser massivement» des millions de clandestins, lui est donc difficilement supportable: «Je n’ai plus vingt ans, je suis intégré dans ma communauté, entouré de ma famille et de mes amis, avec une profonde compréhension de la culture américaine, poursuit David Glosser. M'expatrier est la dernière chose que j’ai envie de faire. Ma situation n’est évidemment pas celle de mon grand-père, qui a dû fuir son pays face au danger, mais si les rambardes de la démocratie américaine vacillent, je n’aurai aucune envie de rester.»
Plus largement, ce qu'il redoute d'un futur orchestré par Donald Trump lui semble aussi plausible qu'intolérable: «Je ne souhaiterais pas vivre dans un pays où l’on doit constamment veiller à ce qu’on dit et ce qu’on fait, où les lois équitables sont sujettes aux caprices du pouvoir politique. Si les citoyens doivent respecter les lois, il doit en aller de même pour leurs leaders. C'est indispensable pour maintenir un certain niveau de confort, de dignité et de liberté.»
Autour de lui, des amis déçus par la victoire du candidat républicain évoquent des projets similaires: «Toute personne qui réfléchit sérieusement à quitter le pays a analysé ce choix dans les moindres détails, pointe notre interlocuteur. Lorsqu'il s'agit d'émigrer d'un pays à l'autre, on peut toujours trouver des arguments pour comme des arguments contre». Et aux yeux de nombreux Américains – visiblement pas la majorité –, le facteur Trump est résolument négatif.
Le souvenir douloureux de la pandémie
Bien qu’il n’ait pas prévu d’acheter un billet d’avion prochainement, le couple entreprend des démarches administratives pour anticiper le déménagement. «Nous sommes très attachés à la Suisse, en raison des origines valaisannes de ma femme, et cela fait près de quinze ans que nous nous y rendons au moins une fois par an, souligne David Glosser. En décembre, lorsque nous serons sur place, nous en profiterons pour étudier la question du logement.»
Car si Donald Trump dépasse certaines limites, les époux se tiennent prêts à sauter le pas: «Je ne m’attends à rien de bon venant d’un leader reconnu coupable de différents crimes et jugé pour de terribles agressions sexuelles, déplore notre intervenant. En cas de crise, il n’y a aucune raison d’espérer une réponse adéquate. Durant le dernier mandat de Trump, la gestion catastrophique de la pandémie m’avait énormément déçu, de la part d’un gouvernement doté d’un accès presque illimité aux ressources financières et à la recherche. Un résident américain sur 500 est décédé des suites du Covid. Et parmi les disparus, il y avait ma mère. Beaucoup de décès auraient pu être évités, en suivant les recommandations des professionnels de la santé publique.»
Incertitude et insécurité
Pour le neuropsychologue, il est difficile de se sentir en sécurité dans de telles conditions. Lorsqu’on lui demande quelles décisions concrètes pourraient effectivement motiver son départ, il répond sans hésiter:
«Je ne veux pas dramatiser, je ne m’attends pas à ce que les États-Unis prennent la même direction que l’Allemagne de 1938. Mais d’un autre côté, les citoyens allemands de cette époque ne s’attendaient pas non plus à plonger dans la tyrannie et la folie. Nous saurons qu’il est temps de partir si le nouveau président ordonne au département de la Justice de persécuter ses ennemis politiques, s’il place ses ambitieux sous-fifres dans les forces de l’ordre, s’il remplace des dirigeants militaires fidèles à la Constitution par ceux qui lui seront fidèles, à lui seul… Je m'attends aussi à ce que les médias soient confrontés à des menaces s'ils daignent critiquer l'administration Trump. Ce sont des actions qu'il a entreprises dans son précédent mandat et qu'il pourrait encore intensifier cette fois-ci.»
L'attrait de la Suisse et de son gouvernement
David Glosser et son épouse, férus de randonnée et de ski de fond, apprécient la nature de la Suisse et certaines valeurs qu'ils associent à la Confédération: «Il s’agit d’un pays pluriculturel qui fonctionne depuis des décennies avec, il me semble, un certain respect pour la loi et une responsabilité à prendre soin les uns des autres, considère le neuropsychologue. J’ai l’impression que, comme il s’agit d’un plus petit pays, les liens interpersonnels sont plus forts. Et le gouvernement semble travailler davantage à élargir les droits de ses citoyens, plutôt que de les exclure. C'est un excellent exemple des bénéfices qu'on peut tirer de l'échange d'idées entre différentes cultures.»
Pour le moment, David Glosser prend les choses petit à petit, sans précipitation: «La dramaturgie a sa place au théâtre, mais pas dans les affaires sérieuses, estime-t-il. Je suis pilote de planeur et un bon entraînement d’aviation requiert une excellente capacité à gérer la pression, à prendre les choses une par une. J'espérais que la raison l'emporte aux États-Unis, mais l'espoir n'est pas une stratégie viable. Nous avions donc anticipé toutes les issues possibles. Oui, je suis fortement déçu et très inquiet pour le futur de mon pays et des conséquences pour l'Europe. Je suis en colère que des personnes cyniques aient accepté d’abandonner les institutions démocratiques en faveur de gains personnels éphémères. Nous pouvons tous nous attendre à un voyage inutilement turbulent.»