«Le monde entier est pratiquement contre nous.» Mikhaïl Khodarenok, ancien commandant de la défense aérienne russe, n’a pas mâché ses mots lors de son passage à la télévision d'État russe, dimanche dernier. Lors de son apparition dans l’émission «60 minutes», il a évoqué une «détérioration de la situation», un «isolement total de la Russie» et doutait ouvertement de la mobilisation du peuple russe.
Mardi, l'ex-colonel est revenu sur les ondes de la télévision d'État. Mais cette fois-ci, son discours avait radicalement changé. Il a alors parlé d'une «Ukraine clairement inférieure», une «mauvaise surprise pour les défenseurs» et une «nette victoire» pour les forces armées russes.
L’homme a-t-il subi des pressions de la part du Kremlin? Au vu des nombreuses disparitions et autres meurtres troubles entourant des oligarques proches du pouvoir, on peut légitimement penser qu’il s’est fait remettre les pendules à l’heure. Le journaliste de la BBC Francis Scarr écrivait à ce sujet sur Twitter: «On dirait que quelqu’un lui a fait comprendre la leçon.»
Une voix critique de l'assurance du régime
Si cet ex-officier supérieur expérimenté a attiré l’attention en premier lieu, ce n’est pas dû au hasard. L’homme a plusieurs fois pu prédire avec précision le déroulement de la guerre. Le 3 février, trois semaines avant le début de l’invasion, il osait déjà douter publiquement de la réussite des opérations russes dans un rapport transmis aux autorités.
Attirant l’attention sur la mauvaise situation des troupes de Vladimir Poutine dans la guerre qu’elle mène en Ukraine, il s’est également clairement opposé à la loi russe sur les médias. Celle-ci punit la diffusion de «fausses nouvelles» d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.
Remise en question de la supériorité aérienne russe
Il refusait ainsi de croire les affirmations du Kremlin, qui estimait que la guerre en Ukraine serait extrêmement courte. Moscou était en effet certaine que la Russie obtiendrait en peu de temps le contrôle total de l’espace aérien.
«Les missiles anti-aériens ukrainiens ont considérablement endommagé l’armée de l’air russe pendant le conflit de 2008», écrit-il, faisant référence à l’invasion de la Géorgie par la Russie. Moscou affirme que l’Ukraine avait soutenu le pays d’Asie centrale en lui fournissant armes et volontaires. «Après le premier jour de combats, le commandement de l’armée de l’air russe a été choqué par les pertes causées par ces missiles, et cela ne doit pas être oublié», écrivait Khodarenok dans son rapport.
«Ne jamais mépriser son ennemi»
Ce n’est pas le seul point sur lequel le militaire de haut rang émettait des doutes. Car le Kremlin affirmait que «personne ne défendrait l’Ukraine» et les Russes seraient «acclamés en libérateurs». «Il s’agit d’une méconnaissance totale de la situation militaire et politique de l’Ukraine, ainsi que de l’état d’esprit de sa population. Personne n’accueillera l’armée russe avec du pain, du sel et des fleurs», disait-il, selon une expression russe consacrée.
De même, il s’est très vite positionné comme un sceptique quant à l’attitude adoptée par les autorités russes à propos de l’état de l’armée de Kiev. «Il ne fait aucun doute que l’armée ukrainienne est considérablement inférieure aux forces armées russes en termes de capacités de combat et d’intervention. Personne n’en doute, ni à l’Est ni à l’Ouest. Cependant, nous devrons nous souvenir du précepte d’Alexandre Souvorov, un célèbre général russe ayant combattu durant les guerres napoléoniennes: 'Ne méprise jamais ton ennemi, ne le considère pas comme stupide ni plus faible que toi'.»
Une analyse lucide de la réponse occidentale
Il avait vu juste, car l’assurance dont ont fait preuve les cercles proches de Poutine a conduit l’armée russe à se casser les dents sur les très motivées troupes ukrainiennes, soutenues par l’Occident. «L’afflux de volontaires provenant des pays occidentaux ne doit pas être exclu», notait-il d’ailleurs. Une bonne analyse, si l’on en croit l’appel de Volodymyr Zelensky aux étrangers pour sa Légion internationale.
Il termine son rapport avec ce qui est devenu un point central de la guerre en Ukraine: «Si l’Occident n’envoie pas de soldats, il pourrait décider de livrer des armes diverses, des équipements militaires et d’importantes livraisons de matériel de toute sorte.»
Mais ses avertissements ont été ignorés par les politiciens russes. Aujourd’hui encore, on ne veut pas entendre parler Mikhaïl Khodarenok. Son virage à 180 degrés en deux jours sur son analyse du conflit semble le prouver.
(Adaptation par Alexandre Cudré)