Quatre gardes du corps accompagnent Svetlana Tikhanovskaïa lorsque Blick la rencontre dans un hôtel genevois pour une interview. La Biélorusse de 39 ans vit en danger depuis qu'elle s'est présentée aux élections présidentielles de 2020 contre le dirigeant et ami de Vladimir Poutine, Alexandre Loukachenko (67 ans). Après les élections truquées, elle a fui en raison de menaces pour rejoindre ses enfants en Lituanie, où elle vit actuellement en exil.
En marge d'un congrès sur les droits de l'homme à Genève, l'opposante biélorusse a répondu aux questions de Blick sur la guerre dans son pays voisin et sur ses enfants, qui n'ont pas vu leur père depuis deux ans.
Blick: Madame Tikhanovskaïa, comment avez-vous appris l'invasion de l'Ukraine par les Russes?
Svetlana Tikhanovskaïa: J'étais en visite officielle à Paris lorsque mon assistant m'a appelée à 5 heures du matin. J'étais complètement déboussolée. C'était l'enfer pour moi.
Auriez-vous cru Poutine capable de mener cette guerre?
Je considérais le déploiement de Poutine comme un geste de menace contre l'Occident. Je ne m'attendais pas à ce qu'il envahisse le pays. Je partais du principe que l'histoire que nos pays ont vécue il y a quelques décennies était toujours présente dans nos têtes.
Comment avez-vous expliqué à vos enfants ce qui se passe dans le pays voisin?
Mon fils de 11 ans comprend depuis longtemps que nous devons lutter dans notre propre pays contre un dictateur qui a emprisonné son père. Il suit la guerre à la télévision et sur YouTube. Il a peur. Ma fille de 6 ans, en revanche, est trop petite pour comprendre. Elle a également du mal à comprendre pourquoi elle n'a pas vu son père depuis deux ans.
Que sait-elle de son père?
Elle sait qu'il est en prison. Mais je doute qu'elle sache ce qu'est une prison. Elle parle souvent de lui en regardant les photos accrochées au mur et en pleurant.
Êtes-vous en contact avec lui?
Depuis plus d'un an, il est détenu à l'isolement. Son avocat lui rend visite chaque semaine. Je n'en ai pas la possibilité.
Dans quelle mesure la Biélorussie est-elle impliquée dans la guerre?
Nous parlons de deux choses: les troupes et le peuple biélorusse. Le peuple, qui n'a pas été informé pendant longtemps à la télévision nationale, est clairement contre la guerre. Nous ne voulons tout de même pas nous battre contre nos frères et sœurs! En revanche, le gouvernement a cédé notre sol aux troupes russes.
Y a-t-il une résistance dans votre pays?
De nombreux jeunes hommes ont quitté le pays parce qu'ils ont peur d'être mobilisés. Ils ne veulent pas se battre contre un peuple frère et ne veulent pas mourir pour Poutine ou pour Loukachenko. Les mères aussi font pression sur le gouvernement. Tout cela contribue à ce que Loukachenko hésite à envoyer ses propres soldats en Ukraine.
Dans quelle mesure Loukachenko est-il dépendant de Poutine?
Loukachenko a besoin de Poutine comme source d'argent et de soutien pour rester au pouvoir. De son côté, Poutine a actuellement besoin de Loukachenko pour montrer au monde qu'il n'est pas seul dans sa guerre. Si Poutine part, Loukachenko partira également.
Après le début de l'invasion, on reparle soudain de réarmement dans de nombreux pays. Est-ce la bonne réaction à la guerre?
La question est: quelle est l'alternative? Tant qu'il y aura des dictateurs, il y aura des menaces. Nous devons montrer notre force.
Comment voyez-vous le rôle de la Suisse dans cette guerre?
Dans cette guerre, même la Suisse neutre a compris quelle était la réalité. De manière générale, il est important que les pays démocratiques s'unissent et agissent ensemble contre Poutine.
La Suissesse Natallia Herrsche, emprisonnée en Biélorussie, a été libérée prématurément il y a quelques jours, à la surprise générale. Savez-vous pourquoi?
Je suppose qu'il s'agit d'un accord. La Suisse a décidé de réoccuper l'ambassade à Minsk, ce qui signifie une forme de reconnaissance de Loukachenko.
Êtes-vous vous-même encore active en politique?
Je rencontre des représentants du gouvernements dans le monde entier et je leur présente la Biélorussie moderne. Plusieurs États me reconnaissent comme présidente de la Biélorussie démocratique. Nous ne pouvons pas permettre que le monde nous oublie.
Comment voyez-vous votre pays dans vingt ans?
Comme un pays démocratique et prospère où les gens vivent avec fierté et prennent leurs responsabilités. Pour moi, il est secondaire de savoir si nous ferons partie de l'UE ou d'une autre association.
Pourriez-vous un jour vous imaginer vous présenter à nouveau à la présidence?
Je n'en ai pas l'intention. Je préférerais vivre en paix avec mon mari et mes enfants et faire des voyages. Mais les choses changent vite. Si la nécessité s'en fait sentir, je serai là pour mon peuple.
(Adaptation par Yvan Mulone)