Le développement de ce médicament révolutionnaire a été élu par la prestigieuse revue Science comme l'avancée la plus importante de la recherche en 2024. Bien que le lénacapavir soit la meilleure alternative à un vaccin, qui n'existe toujours pas, pour le VIH, l'espoir est tempéré par des circonstances concomitantes peu réjouissantes. Voici les principales questions qui se posent sur cette innovation qui pourrait sauver des centaines de milliers de vies.
Comment fonctionne le médicament?
Le virus du sida utilise ce que l'on appelle une capside pour introduire clandestinement son patrimoine génétique dans une cellule humaine. La substance active lénacapavir se compose de deux bloqueurs de capside qui perturbent ce processus. Outre la libération de l'ADN viral dans le noyau cellulaire, il empêche d'autres phases de l'infection par le VIH.
A quel point est-il prometteur?
Dans le cadre d'une étude portant sur 5338 femmes séronégatives d'Afrique du Sud (40'000 personnes y sont décédées des conséquences du sida en 2023) et d'Ouganda (17'000 décès en 2023), une partie conséquente des volontaires a reçu une injection de lenacapavir. En parallèle, on leur a prescrit une prophylaxie pré-exposition (PrEP) sous forme de comprimés qui, s'ils sont pris quotidiennement, les protège de manière fiable contre une infection par le VIH. L'autre groupe a reçu à la place une injection de placebo, combinée au même traitement PrEP.
Après un an et deux injections à six mois d'intervalle, les quelque 2000 sujets qui avaient reçu le médicament étaient toujours séronégatifs. Dans le groupe placebo, en revanche, 55 femmes sur environ 3000 ont été infectées. De plus, presque toutes celles qui l'ont été ont pris les comprimés de PrEP moins de deux fois par semaine, bien qu'il leur ait été expressément expliqué qu'une prise quotidienne était nécessaire. Cette «négligence» est l'un des plus grands problèmes de la lutte contre le VIH dans les pays où la maladie est fortement stigmatisée et où les comprimés ne peuvent souvent être pris que lorsque personne d'autre ne le sait.
Le plus grand avantage du lenacapavir est donc que la substance active ne doit être administrée que deux fois par an. Une nouvelle étude suggère qu'une seule injection par an pourrait même suffire si le principe actif est injecté dans les muscles plutôt que sous la peau.
Qu'en est-il de l'autorisation de mise sur le marché?
Le lenacapavir est autorisé aux Etats-Unis et dans l'Union européenne depuis 2022 et en Suisse depuis 2023 pour le traitement des patients atteints par le VIH, donc pas comme médicament préventif.
Le fabricant est l'entreprise pharmaceutique américaine Gilead, leader dans le développement de médicaments pour cette lutte. Elle a déposé une demande d'autorisation de mise sur le marché en tant que médicament préventif dans de nombreux pays. Des réponses qui devraient arriver à la fin de l'année 2025. La Suisse suivra.
Combien ça coûte?
En Suisse, deux injections coûtent environ 40'000 francs, mais cela est remboursé par l'assurance de base depuis le 1er novembre 2022. Pour l'instant, les médecins ne peuvent prescrire le médicament que si toutes les autres formes de thérapie possibles n'ont pas apporté d'amélioration chez le patient.
Gilead a conclu des accords avec six fabricants qui sont autorisés à produire du lénacapavir sous forme de médicament générique dans 120 pays où le nombre de cas est élevé et les ressources limitées, et à le vendre à des prix plus avantageux. Mais cela ne couvre de loin pas tous les pays dont les habitants ont un besoin urgent de ce remède.
Quels sont les obstacles?
Outre les coûts élevés, le projet de Donald Trump de supprimer totalement, ou en grande partie, l'aide au développement des Etats-Unis menace la prévention et le traitement du VIH dans les pays du Sud. Un tribunal vient de stopper le président américain sur ce point, mais la menace demeure.
Le President's Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) américain (en français: Le plan d'urgence du président pour l'aide à la lutte contre le sida) s'était engagé, avant même l'élection de Trump, à fournir deux millions de doses de lénacapavir en trois ans aux pays présentant les taux d'infection par le VIH les plus élevés, les pays d'Afrique subsaharienne en particulier.
Ces doses auraient contribué à combler le temps nécessaire à l'arrivée des génériques sur le marché, un processus qui, selon les experts, pourrait dans ce cas prendre entre 18 mois et deux ans. Selon les calculs d'une organisation à but non lucratif, la fin du soutien financier des Etats-Unis aux programmes de lutte contre le sida entraînerait, rien qu'en Afrique du Sud, un demi-million de morts en dix ans.