Benjamin Netanyahu, chef du gouvernement israélien pour la sixième fois, est enlisé dans une boue sanglante dont il est en partie responsable. Voici une des lectures possibles de la guerre au Proche-Orient.
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Le politicien de droite du Likoud aurait tellement divisé Israël avec son projet de réforme de la justice, que les mécanismes de sécurité externes auraient échoué et que personne n'aurait vu venir les atrocités préparées par le Hamas dans la bande de Gaza. Ce serait donc sa faute si les choses en sont arrivées là, avec le Hamas, avec le Hezbollah et peut-être bientôt avec l'Iran
Une manière de faire diversion?
Mais il y a une autre interprétation, défendue par celles et ceux qui croient que la crise en Israël n'est rien d'autre qu'un pur calcul de l'ancien soldat d'élite et conseiller économique au QI estimé à 180. Benjamin Netanyahu aurait anticipé tous les évènements. Celui qui préside la plus petite puissance nucléaire du monde depuis plus de 16 ans – avec des interruptions – serait prêt à faire payer un prix très élevé à sa nation et à ses voisins... pour sa propre liberté!
Le Hamas a assassiné plus d'un millier de personnes lors de son attaque contre Israël le 7 octobre. Depuis, près de 400 soldats israéliens ont perdu la vie lors de la riposte dans la bande de Gaza. Plus de 22'000 Palestiniens ont été tués, en majorité des femmes et des enfants. C'est ce qui a poussé l'Afrique du Sud à accuser cette semaine Israël de génocide auprès de la Cour internationale de justice à la Haye.
Plongés dans ces horreurs, les Israéliens ont perdu l'envie de s'écharper sur la réforme judiciaire de Benjamin Netanyahu, qui avait provoqué des manifestations massives chaque semaine jusqu'au 7 octobre. Le dirigeant voulait, avec son cabinet composé en partie de partis d'extrême droite, priver la Cour suprême de ses pouvoirs.
Il risque 13 ans de prison
En Israël, qui ne connaît ni constitution ni deuxième chambre parlementaire, les 15 juges suprêmes sont la seule instance de contrôle qui peut examiner les lois adoptées par le gouvernement et empêcher leur introduction. C'est à cela que Benjamin Netanyahu voulait mettre fin.
Selon ses adversaires, le véritable objectif de Benjamin Netanyahu était de pouvoir procéder à des adaptations législatives qui auraient annulé les trois procès pour corruption en cours contre lui. Le septuagénaire risque 13 ans de prison en cas de condamnation.
Au début de l'année, les juges suprêmes ont rejeté la réforme de la justice. A suivi une méga-crise politique en Israël, opposant la Cour suprême au gouvernement – du jamais vu dans les 75 ans d'histoire de l'Etat hébreux. Mais plus personne ne veut en parler aujourd'hui, alors que les sirènes continuent de hurler et que plus d'une centaine d'otages sont toujours portés disparus.
Ce que son père lui a appris
«J'ai appris de mon père ce qu'il faut vraiment pour survivre: il faut reconnaître le danger à temps et le combattre», a récemment déclaré Benjamin Netanyahu dans un podcast. Or le danger, pour le dirigeant à la voix grave et aux cheveux argentés, vient actuellement de ses propres juges plus que du Hamas.
A 14 ans, Benjamin Netanyahu a quitté Jérusalem avec ses parents pour Philadelphie, aux Etats-Unis. Son parfait «American English» date de cette époque. Tout comme son amour pour les échecs et le football. Jeune homme, il est retourné en Israël et a servi pendant cinq ans dans l'unité d'élite Sayeret Matkal. Lors d'une opération de libération d'otages en 1972, il a été blessé par balle. Il en a gardé une cicatrice à l'épaule et la conviction qu'il aime formuler en latin: «Principiis obsta», soit «Résiste à ce que qui ne fait encore que commencer».
Marié trois fois, ce petit-fils d'un sioniste immigré biélorusse a commencé la politique dans les années 1980, d'abord comme ambassadeur israélien auprès de l'ONU, puis comme parlementaire. Il a ensuite accédé au poste de Premier ministre pour la première fois en 1996.
Des alliés politiques encombrants
Benjamin Netanyahu n'a cessé d'entretenir des contacts très étroits avec sa deuxième patrie, les Etats-Unis. L'Oncle Sam envoie chaque année près de quatre milliards de dollars d'aide militaire à l'Etat hébreux. Une aide qu'Israël juge indispensable à sa survie. Or deux des corégents du Premier ministre provoquent désormais les Etats-Unis avec force. Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité, a répondu aux critiques étasuniennes sur sa proposition d'expulser de Gaza tous ses habitants en déclarant: «Nous ne sommes pas une étoile sur le drapeau américain.»
Quant au non moins radical ministre des Finances Bezalel Smotrich, il refuse toujours de transférer l’argent des impôts perçus au nom de l’Autorité palestinienne. Privé de liquidités, le gouvernement palestinien est de facto menacé d'effondrement. Les Etats-Unis exigent que ces fonds soient débloqués afin d'éviter un chaos accru, mais Bezalel Smotrich campe sur ses positions et menace désormais de démissionner. Son départ entraînerait la chute de la coalition gouvernementale de Benjamin Netanyahu. Et celui qu'on surnomme Bibi perdrait alors son pouvoir.
«Pas le moment de faire de la politique»
Le stratège a-t-il perdu le contrôle? Ses cousins radicaux au pouvoir le font-ils déraper? Les juges seront-ils finalement ses bourreaux? Son corps de 74 ans, soutenu depuis juillet dernier par un stimulateur cardiaque, supportera-t-il tout cela?
La cote de popularité de Benjamin Netanyahu est en chute libre. L'ex-général modéré Benny Gantz, que le chef du gouvernement a fait entrer dans son cabinet de guerre, le battrait facilement lors d'une élection. Mais Benjamin Netanyahu est clair: «Ce n'est pas le moment de faire de la politique.» Maintenant, c'est la guerre. On parlera de tout le reste plus tard. Peut-être.