Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a promis d'anéantir le mouvement islamiste palestinien, auteur de l'attaque du 7 octobre, la plus violente de l'histoire du pays. Bilan, quelque 250 otages, dont quelque 130 sont encore détenus et environ 1140 morts, essentiellement des civils, selon Israël.
Mais si cet objectif militaire seul semble déjà difficile à atteindre, réduire à néant ses revenus relève de la gageure. «Le Hamas est solide financièrement», assure à l'AFP Jessica Davis, présidente du groupe canadien Insight Threat Intelligence. «Depuis dix ans sinon plus, ils ont mis en place un réseau de financement résilient» avec des investissements et des sources de revenus dans de nombreux pays sans être inquiétés. Parmi ces sources figurent des «petites affaires et de l'immobilier», dans des pays comme la Turquie, le Soudan ou l'Algérie, ajoute-t-elle.
Un soutien continu malgré l'horreur
Le Hamas s'appuie par ailleurs sur un réseau informel de dons. Il «est devenu très bon dans le développement d'un système complexe de bureaux de change via la Turquie, les Émirats arabes unis, Dubaï mais aussi l'Europe, les États-Unis», explique Yitzhak Gal, spécialiste de l'économie palestinienne pour l'institut israélien Mitvim.
Or, le nombre de donateurs n'a pas forcément diminué depuis le 7 octobre. «En dépit de ses atrocités, le Hamas semble avoir gagné du soutien internationalement, parmi des segments de la population qui le perçoivent comme une avant-garde de la résistance», souligne Lucas Webber, co-fondateur du site spécialisé Militant Wire. Depuis deux mois, 18'787 personnes, à 70% des femmes, des enfants et des adolescents, ont été tuées par les bombardements israéliens dans la bande de Gaza, d'après le ministère de la Santé du Hamas.
Depuis des années, le soutien majeur du groupe est à Téhéran. Les estimations évaluent l'apport annuel de l'Iran entre 70 et 100 millions de dollars, via un patchwork qui associe les cryptomonnaies aux valises de cash, en passant par certaines banques étrangères et le système informel de transferts de fonds «hawala».
Une suprématie financière
L'aide iranienne en équipement militaire passait pour sa part, selon Yitzhak Gal, via la contrebande depuis l'Égypte et les tunnels creusés entre Gaza et le désert du Sinaï, aujourd'hui bouchés. Au-delà, depuis 2006 et sa victoire aux élections, le Hamas a confisqué le pouvoir à Gaza, rendant caduque la distinction entre l'argent destiné à la population et celui qui finance ses branches politiques et militaires. «Tout ce qui rentre va au Hamas et ils décident qui vit et qui meurt», tranche Yitzhak Gal. Les dirigeants du groupe mènent d'ailleurs la grande vie à l'étranger.
Sur les 2,5 milliards de dollars de budget de la bande de Gaza, 1,1 milliard viendrait de l'Autorité palestinienne — avec l'accord d'Israël, précise-t-il. La communauté internationale elle-même finance l'UNRWA, agence de l'ONU d'aide aux réfugiés palestiniens. Le débat sur l'aide accordée à l'agence onusienne a d'ailleurs fait débat en Suisse la semaine dernière. Quant au Qatar, il paye les salaires des fonctionnaires, comme les médecins et les enseignants, et verse 100 dollars par mois aux 100'000 familles les plus pauvres de Gaza, pour un total de 1,49 milliard entre 2012 et 2021, selon Doha.
En 2021, le riche émirat gazier, qui abrite la direction politique du Hamas sur son territoire, a fait état d'un montant annuel de 360 millions de dollars. «Sans exception, l'aide du Qatar est coordonnée avec Israël, le gouvernement américain et les Nations unies», rappelle à l'AFP un responsable qatari. Même l'aide en nature — nourriture, médicaments, essence — passait par Israël. Lundi, le diplomate qatari chargé de négocier la libération des otages israéliens, Abdulaziz Al-Khulaifi, a indiqué que la manne se poursuivrait.
Un avenir incertain
L'avenir? Washington a pris en octobre des sanctions contre dix «membres-clés du Hamas» et les Occidentaux réfléchissent à des mesures coercitives. Mais assécher le Hamas sera probablement impossible. «La perspective d'une destruction complète à long terme de ses finances n'est pas réaliste», relève Jessica Davis. «Vous pouvez la perturber, supprimer des acteurs clés, réduire les sources de fonds. Mais l'infrastructure sera toujours là. Tant que le groupe a des soutiens, ils peuvent être sollicités de nouveau.»
Yitzhak Gal, lui, renvoie à la problématique politique. Nul ne sait ce qu'il adviendra de ce petit territoire de 2,5 millions d'habitants coincé entre l'Égypte, Israël et la Méditerranée. «Quand la guerre s'arrêtera et que la vie normale reprendra, la question sera: est-ce que ce système financier reprend ou est-ce qu'il change?», résume-t-il. «Gaza est aujourd'hui un grand camp de réfugiés. Qui sera en charge d'apporter la nourriture, l'eau et les abris à ces réfugiés? Le Hamas ou une autre organisation, un autre mécanisme?»
(AFP)