«Je pense que nous sommes coincés dans cette guerre. Sauf si je deviens président. Je la mènerai à son terme, je nous en sortirai», a déclaré mardi Donald Trump en faisant référence à l'Ukraine, lors d'un meeting de campagne en Géorgie. Autrement dit: s'il devient président, il assure qu'il n'enverra ni argent ni armes en Ukraine. Mais qu'arrivera-t-il alors à l'Etat ukrainien, et à l'Europe?
«Nous assistons à un retrait lent mais constant de l'Amérique de l'Europe», estime l'expert en sécurité Ralph D. Thiele. Pour l'Allemand, ce scénario devrait inquiéter les experts européens en matière de sécurité. Car si l'Ukraine ne bénéficie pas de soutien américain, l'Europe a un gros problème: «Il s'agit aussi de nos fesses», indique-t-il sans détour.
L'Ukraine pourrait alors perdre la guerre contre la Russie, parce qu'elle «n'est pas en mesure de se défendre par elle-même», soutient Ralph D. Thiele. Ce sont surtout les armes, l'argent et les munitions en provenance des États-Unis qui permettraient à l'Ukraine de s'imposer face à l'armée russe. Selon l'Institut d'économie mondiale de Kiel, les États-Unis ont donné plus de 75,1 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine depuis le début de la guerre. L'Union européenne (UE), en revanche, n'a dépensé «que» 39,3 milliards d'euros.
L'Occident deviendrait la risée de tous
Quelles seraient les conséquences d'une absence de soutien des États-Unis à l'Ukraine? Premièrement, un renforcement du pouvoir de la Russie. «La Russie pourrait suggérer une victoire en cas de retrait des États-Unis», explique l'expert. Vladimir Poutine aurait ainsi atteint son objectif, du moins sur le papier, et gagnerait en crédibilité auprès de la population russe.
Sur le champ de bataille aussi, Poutine pourrait repousser l'Ukraine loin derrière, affaiblissant sa position de négociation. Et, comme l'explique l'expert suisse de la Russie Ulrich Schmid, «la Russie se sentirait renforcée». Cela signifie que Moscou adopterait un comportement beaucoup plus agressif vis-à-vis de l'Europe.
Et ce n'est pas tout: une défaite de l'Ukraine serait humiliante pour l'Occident, mettant en jeu sa crédibilité. Ce serait un prétexte idéal pour les autocrates et dictateurs de ce monde, qui pourraient arguer que les démocraties n'ont pas ce qu'il faut pour se défendre. Les partisans de l'Ukraine seraient considérés par la Russie, la Chine et le Sud global comme des États qui n'allient pas le geste à la parole. George Robertson, ancien chef de l'OTAN, a averti cet été «The Economist»: «Si l'Ukraine perd, nos ennemis détermineront l'ordre mondial.»
L'Europe peut-elle faire cavalier seul?
Les menaces américaines ne sont pas nouvelles. «C'est un appel au réveil profond, dans lequel sont plongés les Européens», raconte Ralph D. Thiele à Blick. Pourquoi l'Europe ne parvient-elle pas à se réveiller en matière de politique de sécurité? Car, en théorie, elle pourrait se défendre elle-même. L'expert en sécurité ne mâche pas ses mots: «Nous ne le voulons manifestement pas. Nous nous sommes mis à l'aise, nous reposant sur les États-Unis. Nous sommes des resquilleurs en matière de politique de sécurité. Cette négligence m'inquiète.»
Selon Ralph D. Thiele, l'Europe doit désormais se positionner avec force. «Plus l'Europe est sûre d'elle, plus Poutine nous respecte. Et plus nous sommes en sécurité.» C'est exactement la stratégie qu'a adopté l'UE, en début de semaine: la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé que l'UE prêterait 35 milliards d'euros d'aides à l'Ukraine. L'argent provient de comptes russes gelés. Cette manœuvre risquée n'avait pas vraiment été convenue avec les États-Unis, et les discussions à ce sujet étaient considérées comme au point mort. Un premier signe d'émancipation?
L'Ukraine ressent également un refroidissement de la part des États-Unis. Mercredi, Volodymyr Zelensky a présenté à Joe Biden un nouveau «plan de victoire» pour mettre fin à la guerre. Le président ukrainien a par ailleurs rencontré l'équipe du candidat à la présidentielle Trump. La nervosité apparente de Zelensky en est la preuve: il sait qu'il doit atteindre le plus grand nombre possible de ses objectifs avant novembre. Joe Biden le sait également: il a octroyé jeudi une nouvelle aide de plusieurs milliards à l'Ukraine, et prévoit en octobre, juste avant les élections, une rencontre internationale sur ce thème en Allemagne.