La guerre en Ukraine a déclenché des manifestations pro-russes en Serbie. Une partie des citoyens de ce pays approuve en effet l’invasion du pays voisin de la Russie par Vladimir Poutine. Dans une lettre adressée à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, deux anciens haut représentants de la Communauté internationale en Bosnie-Herzégovine mettent en garde contre le risque que le conflit en Ukraine s’étende aux Balkans.
Comment vraiment prendre la mesure de ce danger? Daniel Bochsler, professeur de politique à la Central European University (CEU) de Vienne et à l’Université de Belgrade, évalue la situation pour Blick.
Quel est l’impact de l’invasion de l’Ukraine sur les Balkans?
Daniel Bochsler: Tout comme l’Ukraine, les Balkans sont au coeur des tensions entre le Kremlin et l’Occident. Poutine tente depuis des années de torpiller la stabilisation de la région, que ce soit avec son soutien au nationaliste serbe Milorad Dodik en Bosnie-Herzégovine, l’implication de personnel russe dans des manœuvres de perturbation contre les élections au Monténégro ou la campagne de désinformation contre les Macédoniens du Nord, lorsqu’il s’agissait de résoudre le litige sur l'appellation du pays. Par le biais du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie a également un droit de veto sur la prolongation du mandat des forces de paix européennes en Bosnie-Herzégovine. Mais peut être que l’UE prendra conscience du danger et redonnera aux Balkans la priorité que la région mérite en raison de ses liens sociaux, historiques et économiques étroits avec le reste de l’Europe. Berlin donne des signes positifs en ce sens.
Risque-t-on une nouvelle guerre dans les Balkans?
Cela dépend bien sûr de l’issue de la guerre d’agression russe. Mais nulle part ailleurs en Europe, Poutine n’a d’alliés aussi fidèles que dans les Balkans et il pourrait y laisser s’aggraver des conflits ouverts. L’Europe et les États-Unis sont désormais appelés à renforcer à temps leur présence militaire dans la région et à accélérer les solutions politiques aux questions non résolues.
Quelle est l’ampleur du danger pour la Swisscoy au Kosovo?
On ne peut jamais prévoir les guerres, le Kosovo ne fait pas exception. Aujourd’hui déjà, des groupes criminels, parfois des nationalistes serbes, causent souvent des troubles dans le nord du Kosovo, avec le soutien du gouvernement de Belgrade. Il est bien possible que la guerre d’agression russe les pousse à continuer sur cette voie. Mais c’est justement la tâche des forces internationales, dont la Swisscoy, de maintenir la paix et d’endiguer ces conflits. Il me semble toutefois que les dangers les plus notables viennent de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie et du Monténégro.
Les courants nationalistes qui réclament le retour d'une grande Serbie sont-ils de plus en en plus dangereux?
Personnellement, je trouve révoltant que certaines personnes profitent de la souffrance de la population ukrainienne en réagissant aux crimes de guerre par des fantasmes nationalistes ou pro-russes. Le terrain a été préparé par la politique d’information de Milosevic dans les années 1990, qui présentait les Serbes comme des victimes de la politique internationale. Aujourd’hui encore, alimentés par les médias, dont la grande majorité est contrôlée par le gouvernement, mais aussi par des films ou des journées de commémoration, de nombreux Serbes se considèrent comme des victimes des guerres de Yougoslavie et des sanctions qui en découlent. Ils reconnaissent donc désormais les Russes comme des compagnons d’infortune. Mais rien de tout cela n’est nouveau. Il est trop tôt pour dire si les mouvements politiques qui en découlent seront renforcés.
Quels sont les territoires envisagés pour une «grande Serbie»?
Les frontières serbes sont clairement définies, là où elles sont aujourd’hui. À l’époque de Trump, il y avait des rêveries sur un échange de territoires avec le Kosovo et au-delà, mais c’est heureusement terminé. Les défenseurs de la Grande Serbie sont bien plus bruyants qu'ils n'ont de poids politique. Le plus grand danger pour la paix dans la région vient du nationaliste Milorad Dodik, qui souhaite une grande Serbie et qui peut bloquer la politique en Bosnie-Herzégovine en créant une sorte de «majorité des États bosniaques». C'est d'ailleurs ce qu'il est en train de faire.
La Bosnie-Herzégovine peut-elle continuer à exister ainsi?
Elle doit continuer à exister. Toute tentative de scission provoquerait de nouveaux réfugiés, éventuellement aussi de nouvelles guerres, et ce au-delà de la Bosnie. Cela reviendrait à reproduire politiquement le génocide de Srebrenica.
Comment préserver la paix dans les Balkans?
Volodymyr Zelensky a déposé il y a quelques jours une demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, la Moldavie et la Géorgie ont suivi. Une voie accélérée vers l’UE, dont on discute actuellement, devrait également être ouverte aux pays des Balkans occidentaux, sous des conditions politiques dures. La plupart des citoyens de là-bas veulent laisser les guerres et les conflits derrière eux et participer à l’Europe. L’UE doit enfin ouvrir la porte. Pour des raisons totalement absurdes, les négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord, qui a rempli les conditions depuis longtemps, sont bloquées. Tant que l’UE ne bougera pas, aucun homme politique ne pourra promettre de manière crédible une perspective européenne, que ce soit dans les Balkans ou à Kiev.
(Adaptation par Thibault Gilgen)