Nous sommes à Bornholm, au Danemark. Ce mardi, trois explosions retentissent loin à la ronde. Les deux gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 sont endommagés. Aucune information sur les causes ou les auteurs de cet incident ne filtre. Que s'est-il vraiment passé? C'est la question que se pose actuellement le monde entier, sans qu'une réponse satisfaisante ne soit apportée. Blick fait le tour d'horizon des principales interrogations sur les fuites de gaz dans la mer Baltique.
Que s'est-il passé?
Dans la nuit de dimanche à lundi, des problèmes de pression ont été signalés sur Nord Stream 2. Une station de mesure a enregistré une baisse rapide des valeurs. Les autorités danoises ont pu identifier une fuite au sud-est de l'île de Bornholm. Peu après, une baisse de pression a également été signalée sur l'autre gazoduc, Nord Stream 1.
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Selon le «Jyllands-Posten», la première fuite a été découverte par des avions de combat F-16 danois. De grosses bulles à la surface de la mer ont immédiatement attiré leur attention. Selon les spécialistes, un tremblement de terre est formellement exclu pour expliquer une tel phénomène. Comme les pipelines sont hors service sur une longueur considérable, un acte de sabotage n'est pas exclu.
Quel est le danger?
Selon Roland Gysin, de Greenpeace Suisse, il n'y a actuellement aucun danger immédiat pour les populations à la suite de cet événement. La situation entraîne toutefois des préoccupations. «Le méthane qui s'est échappé est particulièrement nocif pour l'environnement», explique-t-il à Blick.
Puisque le méthane n'est pas soluble dans l'eau, les explosions ont engendré des nuisances locales pour la faune et la flore. «Les poissons qui se trouvaient à proximité immédiate des pipelines au moment des explosions n'ont pas pu survivre à l'onde de choc», continue Roland Gysin.
Pour les bateaux, la situation est dangereuse à proximité des fuites de gaz. Il y a un risque d'inflammation, selon les autorités maritimes danoises. Ces dernières ont mis en place des zones d'interdiction aux navires.
Quelle est l'influence de cette situation sur la pénurie de gaz?
Comme l'écrit «Der Spiegel», des centaines de millions de mètres cubes de gaz se trouvaient dans les gazoducs au moment des explosions. Les calculs avancent environ 135 millions de mètres cubes pour Nord Stream 2 et 190 millions de mètres cubes pour Nord Stream 1. Au total, il s'agit donc de plus de 300 mètres cubes de gaz naturel. Et selon la valeur actuelle du marché, cela représente plusieurs centaines de millions d'euros.
A court terme, la fuite n'aura toutefois pas d'influence sur l'approvisionnement en gaz européen, selon le magazine. Il y a des semaines déjà, Gazprom a stoppé tous les flux de gaz via Nord Stream 1. Nord Stream 2 a quant à lui été rempli, mais son contenu n'a jamais été livré. On ne sait pas non plus si la fuite rendra le gaz encore plus cher pour le consommateur.
À qui appartient le gaz?
Selon les informations du magazine allemand, le gaz contenu dans les gazoducs appartient aux exploitants eux-mêmes, c'est-à-dire à Nord Stream 2 AG, dont le siège est à Zoug et dont le russe Gazprom est actionnaire à 100 %. Mais Nord Stream 2 AG a fait faillite et a licencié tous ses collaborateurs. La société n'a cependant pas été déclarée en faillite. Les fuites de gaz pourraient désormais signifier la fin définitive de la société.
Qui est responsable de ces explosions?
Les experts internationaux estiment qu'il s'agit d'un acte de sabotage que seul un acteur étatique a les moyens de réaliser. La Pologne n'exclut pas que la Russie soit responsable des fuites.
L'Ukraine a été encore plus claire. «La 'fuite de gaz' à grande échelle sur Nord Stream 1 n'est rien d'autre qu'une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d'agression contre l'UE», a écrit sur Twitter le conseiller présidentiel ukrainien Mykhaïlo Podoliak.
Une question demeure: quel serait l'intérêt de la Russie à détruire les gazoducs? Le chantage par le gaz est la seule chance de Vladimir Poutine de lutter contre les sanctions occidentales.
De son côté, la Russie elle-même soupçonne également un sabotage, de la part des Etats-Unis. «Seuls les Etats-Unis ont un intérêt économique a faire cela», écrit «Izvestia». L'ancien ministre polonais de la Défense, Radek Sikorski, semble lui aussi trouver ce récit plausible. Mardi, il a tweeté une photo de la fuite avec le titre «Merci, les Etats-Unis».
Ce contexte rappelle une déclaration du président américain, Joe Biden. Le 7 février dernier, il promettait d'empêcher la mise en service de Nord Stream 2 si Moscou attaquait Kiev. «Si la Russie envahit l'Ukraine, alors Nord Stream 2 n'existera plus. Nous y mettrons fin», a déclaré Biden. De quoi interloquer aujourd'hui.
Au cas où il n'y aurait plus du tout de gaz en provenance de Russie, l'Europe serait presque entièrement dépendante des Etats-Unis pour son approvisionnement. Les critiques y voient une possible motivation inavouée de l'Oncle Sam.
Il faut toutefois souligner qu'aucune de ces théories n'a pu être confirmée ni démentie jusqu'à présent. Et la responsabilité de l'incident ne pourra être établie qu'ultérieurement, si tant est qu'elle puisse l'être. La quantité de gaz qui s'échappe actuellement est encore trop importante. La Suède a annoncé mercredi soir le lancement d'une enquête.
Le sabotage était-il prévisible?
Selon «Der Spiegel», les Etats-Unis ont mis en garde le gouvernement allemand il y a plusieurs semaines déjà contre d'éventuelles attaques contre des gazoducs dans la mer Baltique. Cela alimente bien sûr aussi les rumeurs dans cette affaire.
En juin déjà, l'expert en affaires militaires H.I. Sutton* avait signalé sur Twitter que des sous-marins russes avaient été repérés près de l'île de Bornholm. A l'époque, des informations avaient également circulé selon lesquelles la marine russe avait violé les eaux territoriales danoises. Il n'est toutefois pas prouvé qu'il existe un lien entre cet incident et les fuites de cette semaine.
Comment les pipelines ont-ils pu être sabotés?
Il existe deux possibilités. Le scientifique militaire danois Anders Puck Nielsen a déclaré à «The Sun»: «Techniquement, ce n'est pas difficile. Cela ne nécessite qu'un bateau et quelques plongeurs qui savent comment manipuler des engins explosifs.»
Kenneth Øhlenschlæger Buhl, du Département de stratégie et des sciences de la guerre de l'Académie de défense danoise, a une autre théorie. Dans «Bild», il décrit la possibilité de mettre sur pied un tel sabotage avec des drones sous-marins. «Ces drones sont télécommandés. Ils descendent et localisent très précisément l'endroit où se trouvent les lignes électriques. Ensuite, ils placent une bombe et disparaissent furtivement avant l'explosion.»
Le journal allemand évoque également la possible responsabilité de la 561e brigade navale du Service de renseignement militaire russe (GRU), stationnée à Parusnoye, dans l'enclave russe de Kaliningrad. Il s'agit d'une unité spécialisée dans le sabotage sous-marin.
Quelles seront les conséquences pour les responsables?
Mardi en fin de soirée, le gouvernement danois a évoqué des «actes intentionnels», la Suède un «sabotage». Stockholm a déclaré vouloir mobiliser des «ressources militaires».
«Toutes les informations disponibles indiquent que ces fuites sont le résultat d'un acte délibéré», a déclaré mercredi le représentant de l'UE aux affaires étrangères, Josep Borrell, au nom des 27 États membres. Toute perturbation intentionnelle de l'infrastructure énergétique européenne «fera l'objet d'une réponse robuste et commune», a-t-il averti.
Dès mardi soir, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'est exprimée sur ce possible sabotage. Sur Twitter, elle a écrit: «Toute perturbation intentionnelle d'une infrastructure énergétique européenne active est inacceptable et entraînera la réaction la plus forte possible.»
* C'est ainsi que l'expert s'appelle lui-même, son vrai nom n'est pas connu.
(Adaptation par Thibault Gilgen)