Hors service à cause de la guerre en Ukraine, les gazoducs Nord Stream reliant la Russie à l'Allemagne sous la mer Baltique ont été tous deux touchés par des fuites spectaculaires précédées d'explosions sous-marines, l'Union européenne promettant la «réponse la plus ferme possible» à ce «sabotage».
Les trois grandes fuites identifiées depuis lundi au large de l'île danoise de Bornholm, entre le sud de la Suède et la Pologne, sont visibles à la surface avec des bouillonnements allant de 200 mètres jusqu'à un kilomètre de diamètre, a annoncé mardi l'armée danoise, images à l'appui.
«On ne parle pas d'un incident»
Le gazoduc Nord Stream 2 avait subi une forte chute de pression lundi, suivi quelques heures plus tard de Nord Stream 1, dont il suit le tracé sous la Baltique.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a écrit mardi soir sur Twitter avoir «parlé de l'acte de sabotage Nord Stream» avec la Première ministre danoise Mette Frederiksen.
«Il est primordial d'enquêter sur les incidents et de faire toute la lumière sur les événements (...) Toute perturbation délibérée de l'infrastructure énergétique européenne active est inacceptable et entraînera la réponse la plus ferme possible», a ajouté Ursula von der Leyen.
Peu avant, la Première ministre danoise avait déclaré que «l'avis clair des autorités est qu'il s'agit d'actes délibérés. On ne parle pas d'un accident».
«Des détonations ont eu lieu et il s'agit probablement de sabotage», a renchéri la Première ministre suédoise démissionnaire Magdalena Andersson, qui assure les affaires courantes après des élections perdues le 11 septembre.
Deux explosions sous-marines
Comme le Danemark, la Suède n'y voit pas un acte d'agression contre elle, les incidents ayant eu lieu en dehors des eaux territoriales, dans les zones économiques exclusives.
Selon Copenhague, les fuites devraient durer «au moins une semaine», jusqu'à ce que tout le gaz soit sorti des deux ouvrages.
L'institut sismique suédois a enregistré deux explosions sous-marines, «très probablement dues à des détonations», avant l'incident, comme ses équivalents norvégien et danois.
Bras de fer
Objets de bras de fer géopolitiques ces derniers mois, les deux pipelines exploités par un consortium dépendant du géant russe Gazprom ne sont pas opérationnels à cause des conséquences de la guerre en Ukraine. Mais tous les deux étaient encore remplis de gaz.
Le Kremlin, vers qui se sont tournés nombre de regards, s'est dit «extrêmement préoccupé», estimant qu'il ne fallait exclure «aucune» hypothèse, dont le sabotage.
A Kiev, le conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak a dénoncé «une attaque terroriste planifiée» par Moscou, sans avancer de preuves.
Le Premier ministre polonais a également suggéré une implication russe. «Nous voyons clairement que c'est un acte de sabotage, qui marque probablement la prochaine étape de l'escalade de la situation en Ukraine», a déclaré Mateusz Morawiecki, qui inaugurait justement mardi un gazoduc reliant la Norvège à la Pologne.
«Nous n'excluons aucun scénario, mais nous n'allons pas spéculer sur les mobiles ni les acteurs» pouvant être impliqués, a expliqué la ministre suédoise des Affaires étrangères Ann Linde.
«Il n'y a pas encore d'information nous disant quelque chose sur les responsables», a pour sa part affirmé Mette Frederiksen.
Côté américain, Washington, après s'être refusé à «confirmer» un acte de sabotage, a dit examiner des informations selon lesquelles les fuites sont «le résultat d'une attaque ou d'une sorte de sabotage». «Si c'est confirmé, ce n'est clairement dans l'intérêt de personne», a déclaré le secrétaire d'Etat Antony Blinken devant la presse.
Le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a parlé d'un «apparent sabotage». Il a tweeté avoir parlé à son homologue danois Jean-Charles Ellermann-Kingombe de l'"apparent sabotage des pipelines Nord Stream».
L'exploitant des pipelines, le consortium Nord Stream, a reconnu qu'"un incident durant lequel trois tuyaux éprouvent simultanément des difficultés le même jour n'est pas ordinaire», selon un porte-parole.
Les fuites sont «extrêmement rares»
Le Danemark a dépêché sur place deux navires militaires accompagnés d'hélicoptères, et a placé en état d'alerte orange ses infrastructures énergétiques, le deuxième niveau de vigilance le plus élevé.
«Les fuites de gazoducs sont extrêmement rares et nous voyons donc une raison d'augmenter le niveau de vigilance» après les incidents des 24 dernières heures, a expliqué le directeur de l'Agence danoise de l'énergie, Kristoffer Böttzauw.
De son côté, le gouvernement norvégien a décidé de «renforcer la préparation aux situations d'urgence en ce qui concerne les infrastructures et les installations à terre et en mer sur le plateau continental norvégien». Dans son communiqué, Oslo évoque «une activité accrue de drones» et assure qu'une enquête est en cours.
Nord Stream 2, achevé en 2021, était destiné à doubler la capacité d'importation de gaz russe en Allemagne. Sa mise en service a été suspendue en représailles à l'invasion de l'Ukraine.
Quant à Nord Stream 1, Gazprom a progressivement réduit les volumes de gaz livrés jusqu'à la fermeture complète du gazoduc fin août, accusant les sanctions occidentales d'avoir retardé les réparations nécessaires de l'installation.
La navigation a été interdite dans un rayon de cinq milles nautiques (environ neuf kilomètres) autour des trois fuites, ainsi que leur survol dans un rayon d'un kilomètre.
Selon les autorités danoises, les incidents sont sans conséquences pour la sécurité ou la santé des riverains.
L'impact environnemental direct devrait lui aussi être limité, même si le gaz naturel non brûlé a un puissant effet de serre.
(AFP)