Vladimir Poutine semble de plus en plus isolé au Kremlin. Les critiques sur la guerre en Ukraine sont de plus en plus intenses. L'annonce la semaine dernière d'une mobilisation partielle a accéléré les mouvements de protestations. Désormais, des voix discordantes se font entendre en Russie-même et la rue manifeste son désaccord.
Pourtant, l'élite du pays continue de soutenir Vladimir Poutine. «La plupart des oligarques ont peur de lui, mais ils n'ont aucun moyen de l'influencer», analyse le politologue russe Nikolaï Petrov, dans une interview accordée au magazine «Der Spiegel». Selon lui, aucun Russe fortuné n'oserait agir dans l'ombre pour lutter contre le pouvoir en place.
Deux générations d'oligarques
Il faut dire que Poutine a su tourner les règles du jeu à son avantage ces dernières années. Il s'est attiré les faveurs d'oligarques qui se sont enrichis bien avant que la soif de pouvoir du maître du Kremlin n'explose. C'est le cas par exemple de Roman Abramovitch, l'ancien propriétaire du club de football de Chelsea. «Poutine a proposé de fermer les yeux sur la manière dont les oligarques gagnaient leur argent, s'ils cessaient en contrepartie de se mêler de politique. Il a exigé une loyauté absolue et leur a demandé de suivre ce que l'Etat leur dicte», explique Nikolaï Petrov.
Le président russe confie même aux oligarques certains mandats politiques, que ces derniers doivent exécuter. Ceux qui refusent de suivre les règles sont tout simplement expulsés du territoire russe. C'est le cas de l'ex-oligarque et critique du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski, par exemple. Quelques hommes fortunés, dont le magnat de la métallurgie Alicher Usmanov, ont pu conserver une petite influence au Kremlin, sans toutefois bénéficier d'un quelconque pouvoir de décision.
Une nouvelle génération
En parallèle, une nouvelle génération d'oligarques s'est formée. Il s'agit d'hommes qui ont amassé à la fois une fortune et de l'influence directement grâce à leur proximité avec Vladimir Poutine. Guennadi Timtchenko en est un exemple. Sa fortune est estimée à plus de 20 milliards de dollars. Cet ami du président russe possède notamment une villa à 18 millions de dollars sur les bords du Léman.
C'est cette catégorie d'oligarques qui a surtout été frappée par les sanctions de l'Occident après le début de la guerre. Pour Nikolaï Petrov, celles-ci ne servent pas à grand-chose. Car la «nouvelle génération d'oligarques» a déjà été sanctionnée après l'annexion de la Crimée en 2014. «Ils sont habitués et ont adapté leurs vies en conséquence. On peut donc dire que, parmi les oligarques vraiment proches de Poutine, une certaine forme d'immunité s'est développée», souligne Nikolaï Petrov. Logiquement, ces derniers auraient également peu de raisons de bousculer Vladimir Poutine au sommet.
Une révolution des oligarques reste improbable
Seuls quelques hommes d'affaires triés sur le volet auraient une réelle influence sur le maître du Kremlin. Youri Kovalchuk, un ami d'enfance de Poutine, et son frère Mikhaïl en font partie. Ils ne possèdent certes pas beaucoup d'argent, mais ils contrôlent notamment le Groupe national des médias (NMG), l'un des plus grands groupes médiatiques privés du pays. Les chaînes du NMG sont une machine de propagande d'une importance cruciale pour le président russe. Il dépend clairement du soutien de Youri Kovalchuk.
Ces oligarques ont assurément la même vision du monde que Poutine: l'Occident est l'ennemi suprême. Ainsi, les sanctions internationales n'auraient aucun impact. Les oligarques n'en font que plus bloc autour du Kremlin. «Ils sont de toute façon otages de Poutine. Ils sont loyaux parce qu'ils doivent l'être. Ils n'ont en fait pas d'autre choix», assure Nikolaï Petrov.
Le politologue estime donc qu'une révolution venant des oligarques est peu probable. Vladimir Poutine a trop de pouvoir. Il pourrait aussi nationaliser sans hésiter les entreprises des nantis qui s'opposeraient à lui.. «Ces derniers se retrouveraient alors en prison, leur entreprise disparaîtrait, et si ça tourne mal, on les condamnerait encore à des dommages et intérêts d'un montant faramineux.» Il est ainsi peu probable que les Russes fortunés jouent un rôle considérable dans le changement politique de leur pays.
(Adaptation par Thibault Gilgen)