Révolution démocratique
Inquiétants et courageux dans les urnes, les Français!

Le résultat des élections législatives du dimanche 19 juin prouve qu'une révolution démocratique est à l'œuvre en France. Problème: comme toute révolution, ses excès risquent de coûter cher. Au sens propre comme au sens figuré.
Publié: 20.06.2022 à 13:01 heures
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Dernière mise à jour: 20.06.2022 à 16:11 heures
Les excès de cette révolution démocratique risquent de coûter cher.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une France courageuse, jumelée avec une France inquiétante. Voilà ce que l’on peut retenir des élections législatives marquées, dimanche soir, par l’échec d’Emmanuel Macron, désormais obligé de compter avec une Assemblée nationale où son camp politique ne disposera pas d’une majorité absolue.

Courageux ces Français qui ont fait à nouveau le choix de la rupture, au risque de faire entrer leur pays dans une phase de turbulences. Mais inquiétant ce courage, car ni le système présidentiel, ni les contraintes internationales actuelles ne vont disparaître comme par magie. Résultat: l’heure est à l’inquiétude. Le message de «ras-le-bol» adressé à Emmanuel Macron est clair. Problème: il n’offre guère de solutions pour l’avenir du pays. Retour sur un suspense politique qui promet de durer. En quatre mots: Surprise, révolution, rebellion et disruption.



La surprise: le basculement post-présidentielle



Avouons-le d’emblée: à Blick, nous avons été surpris. La première surprise concerne le Rassemblement national et Marine Le Pen, grands vainqueurs dimanche soir 19 juin. Nous n’avions pas perçu l’enracinement de ce parti dans de nombreuses régions rurales défavorisées, où le ressenti d’abandon est fort. Nous n’avions pas non plus identifié le principal moteur du succès électoral de Marine Le Pen: son relatif silence médiatique. En choisissant les gens plutôt que les journalistes, esquivant les provocations de Jean-Luc Mélenchon et les attaques d’Emmanuel Macron, la finaliste de la présidentielle a misé sur un «dégagisme tranquille» qui lui a permis de faire sauter «le front républicain» et lui vaut à l’arrivée 89 députés, un résultat inespéré.

Seconde surprise du côté de la droite traditionnelle Française. Là, nous ne nous étions pas trompés sur le constat: les anciens fidèles de Chirac ou Sarkozy vont se déchirer à l’Assemblée nationale, pris en étau entre Le Pen et Macron. Cela dit, les 74 députés conservateurs seront, presque à coup sûr, la clef de possibles coalitions futures pour le Chef de l’État. Ils sont déboussolés, mais puissants. Pas simple de gérer cette contradiction.

Troisième surprise: les multiples ratés d’Emmanuel Macron depuis sa réélection. Nous les avons sous-estimés. Mauvais casting de sa première ministre. Absence de campagne convaincante. Isolement présidentiel. Le président Français a largement «gâché» sa victoire du 24 avril par des décisions et des nominations discutables.


La révolution: des législatives qui changent (presque) tout

Sur le papier, cela paraît encore jouable et la première ministre Elisabeth Borne en a fait le pari dimanche soir, évoquant une prochaine «majorité d’action». Avec 245 députés du camp présidentiel, Emmanuel Macron et le gouvernement ont en effet besoin de 54 parlementaires en renfort pour atteindre le chiffre de 289 élus, seuil de la majorité absolue. Un seuil d’autant plus jouable que de nombreux scrutins ne mobilisent pas tous les élus, et que des députés non inscrits ou apparentés peuvent toujours céder aux sirènes du pouvoir. Pour le moment, Emmanuel Macron n’est pas acculé à une cohabitation avec l’opposition qui le verrait abandonner une partie de ses prérogatives.

La vraie révolution est toutefois dans les têtes. Cet échec électoral du Chef de l’État, un mois et demi après sa réélection, lui impose de gouverner autrement. Le pouvoir, en France, ne découlera plus directement du palais présidentiel de l’Elysée si cette Assemblée élue dimanche reste en place jusqu’à la fin du quinquennat (ce qui sera le cas si Macron ne décide pas de la dissoudre). Un nouveau régime de responsabilité partagée va s’installer. Si l’on ajoute le poids du Sénat, contrôlé par la droite, le pouvoir législatif sort grand vainqueur des urnes. Les Français ont rejeté la verticalité de l’exécutif. Le mode de scrutin majoritaire (un député par circonscription) qui tenait jusque-là les extrêmes à distance, s’est transformé en accélérateur pour le Rassemblement national. C’est énorme.

L’autre révolution est celle du dégagisme. Elle n’est pas nouvelle. En 2017, Macron avait lui même été l’instrument d’un dégagisme des élus «à l’ancienne», avec sa volonté affichée de rupture et de disruption. Cette fois, Mélenchon et Le Pen ont repris le flambeau dans un tout autre sens. La boussole politique du pays est affolée. Les partenaires européens de la France vont se poser pas mal de questions. La révolution française du 19 juin se résume à une question: au fait, qui est aujourd’hui le patron de ce pays si centralisé et si présidentiel?

La rebellion: une nouvelle victoire du «non»


Les électeurs Français ne se sont pas rebellés seulement avec leur vote. Ils l’ont aussi fait en refusant de se rendre aux urnes, pour 54% d’entre eux. Le principal acquis de ce scrutin législatif est le refus de se laisser encadrer et ligoter par une logique institutionnelle ou par une personnalité. Macron-Jupiter a vécu: c’est fini. Le jeune président de 44 ans est perçu comme une figure de référence. On lui reconnaît une compétence. Mais il devra composer pour gouverner, car il ne comprend pas vraiment le pays. En clair: le bon élève s’est fait taper les doigts par son maître, le peuple souverain!

Idem, paradoxalement, pour Jean-Luc Mélenchon. Le leader de l’Alliance de Gauche, créditée de 153 députés (des ralliements futurs ou des défections sont probables), a réussi à ressusciter un «Front populaire». Bien joué. Mais il ne sera pas Premier ministre. Les électeurs français n’ont pas envie de confier leur destin à un nouveau «Jupiter» de 70 ans, dont les tendances autoritaires et les errements géopolitiques sont avérés. Ils ont d’abord dit «non», soit en s’abstenant, soit dans les urnes.

Marine Le Pen est, elle, l’instrument de cette rébellion populaire… parce qu’elle est de plus en plus perçue, à tort ou à raison, comme inoffensive. Ce n’est pas la dirigeante d’extrême-droite qui emporte 89 députés, record inespéré en sièges. C’est la politicienne proche du peuple, centrée sur le pouvoir d’achat, seule à dire aux gens: «Je vous écoute» et pas «Faites ci ou faites ça». Attention: danger! Car Marine n’a pas changé. Elle reste la patronne d’un parti national-populiste, viscéralement anti-immigration, anti-islam et anti-européen. Moralité: les Français se sont rebellés dans les urnes avec ce qu’ils avaient sous la main!

La disruption: l’arrivée de nouveaux élus

Le spectacle politique français reste, vu de Suisse, un happening permanent que de nouveaux élus vont maintenant faire vivre avec éclat. À gauche, l’universitaire écologiste wokiste Sandrine Rousseau ou la syndicaliste femme de chambre franco-ivoirienne Rachel Keke vont faire le spectacle. Au RN, le parti de Marine Le Pen va découvrir des individualités mal connues, investies alors que le parti ne songeait pas à leur élection. Au sein de la majorité, la défaite des «barons» de la Macronie, Christophe Castaner qui dirigeait le groupe de députés) et Richard Ferrand (qui présidait l’Assemblée), mais aussi celle de vedettes comme le mathématicien Cédric Villani ou l’entrepreneur lyonnais Bruno Bonnell (qui ne se représentait pas), va changer beaucoup de choses.

Même si elle est élue dans sa circonscription normande du Calvados, la grande perdante de la soirée de dimanche est la Première ministre, Elisabeth Borne, nommée début juin. Pas de charisme. Pas de dynamique. Pas de programme ni d’horizon. Cette technocrate se retrouve sur le fil du rasoir. Politiquement, sa tête est déjà mise à prix et une motion de censure sera d’ailleurs très vite déposée contre elle. Avec ce casse-tête: comment obtenir une majorité de députés si elle sollicite la confiance de l’Assemblée nationale?

Les révolutions françaises ont une constante: à la fin, certains finissent toujours sous le couperet de la guillotine. Au sens propre ou au sens figuré.

Courageux les Français! Mais toujours inquiétants…

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