Les images sont dures, saisissantes, poignantes. Deux journalistes de l'Associated Press ont été parmi les premiers à capturer l'enfer de Marioupol, qui croule sous les bombes depuis le début de la guerre en Ukraine. A travers ces scènes inimaginables, la souffrance et le désespoir se lisent sur les visages. En l'espace de trois semaines, la guerre aura brutalement fait basculer la vie de centaines de milliers de civils.
Si ces clichés prennent aux tripes, elles ne sont jamais indécentes. Elles témoignent de l'horreur qui sévit à trois heures de vol de la Suisse. C'est pourquoi Blick a décidé de les partager. Essayer tant bien que mal de saisir l'horreur et la souffrance d'innocents revient quelque part à lutter aussi contre les violences de la guerre, par la force des images et des mots.
Symbole de résistance
Chaque frappe aérienne et chaque obus qui martèle sans relâche Marioupol fait prendre conscience de la malédiction géographique qui a placé la ville sur le chemin de la domination de l'Ukraine par la Russie. Ce port maritime méridional de 430'000 habitants est devenu un brasier, triste théâtre de l'acharnement des bombes, mais aussi d'une résistance farouche sur le terrain. Là où les Russes avaient érigé Stalingrad au rang de ville martyr lors de la seconde guerre mondiale, Marioupol devient tristement le symbole de la volonté du président russe Vladimir Poutine d'écraser l'Ukraine démocratique.
Au coeur de l'enfer, quand le silence revient temporairement entre deux frappes, c'est la désolation et la mort qui s'installent. «La seule chose que je souhaite, c'est que tout cela soit terminé », s'emporte Volodymyr Bykovskyi, en sortant d'un camion des sacs mortuaires noirs et froissés. «Qu'ils soient maudits, les gens qui ont fait ça!».
«Montrez ça à Poutine!»
Des corps, il y en a partout. Ils sont empilés avec des dizaines d'autres dans cette fosse commune à la périphérie de la ville. Un homme couvert d'une bâche bleue tenue par des pierres sur le trottoir en ruine. Une femme enveloppée dans un drap rouge et or, les jambes soigneusement liées aux chevilles par un morceau de tissu blanc.
On jette les corps aussi vite que possible, car plus on passe de temps à l'air libre, plus les chances de survie s'amenuisent. D'autres corps viendront. Il y a en partout dans les rues ou au sous-sol de l'hôpital. Là, des corps d'adultes et d'enfants sont étendus en attendant que quelqu'un vienne les chercher.
Des enfants touchés, il y en a des milliers. Il y a Kirill, 18 mois, dont la blessure d'éclats d'obus à la tête s'est avérée trop importante pour son petit corps de bambin.
Il y a Iliya, 16 ans, dont les jambes ont été soufflées par une explosion lors d'un match de football sur le terrain de l'école.
Il y a aussi cette fillette de six ans tout au plus qui portait un pyjama avec des licornes dessinées et qui a été l'un des premiers enfants de Mariupol à mourir d'un obus russe. Dans l'enfer de la guerre, il n'y a visiblement pas de place pour épargner les enfants.
Il y a enfin, cette photo tragique d'une femme enceinte évacuée de la maternité en ruine. Elle accouchera quelques heures plus tard.
Ce sont peut-être les images les plus difficiles à regarder, lorsque l'on perçoit la terreur et la sidération sur le visage de ces jeunes innocents. «Montrez ça à Poutine», lance-t-on le visage rempli de fureur. «Regardez les yeux de cet enfant et les médecins qui pleurent.»
Manque d'eau et de nourriture
Dans les rares cas où ils ne sont pas menacés par les bombes, les habitants de Marioupol souffrent de plus en plus du manque de denrées. Les routes environnantes sont minées et le port est bloqué. La nourriture vient à manquer et les Russes ont stoppé les tentatives humanitaires d'en apporter. Il n'y a presque plus d'électricité et l'eau est rare, les habitants faisant fondre la neige pour boire. Certains parents ont même laissé leurs nouveau-nés à l'hôpital, espérant peut-être leur donner une chance de vivre dans le seul endroit où l'électricité et l'eau sont plus ou moins assurés.
La mort est partout. Les autorités locales ont recensé plus de 2 500 morts pendant le siège, mais de nombreux corps ne peuvent être comptés en raison des bombardements incessants. On demande aux familles de laisser leurs morts dehors, dans les rues, car il est trop dangereux d'organiser des funérailles. La plupart des décès documentés par l'Associated Press étaient des enfants et des mères, malgré les affirmations de la Russie selon lesquelles les civils n'ont pas été attaqués.
Des civils pris en otage
Le 10 mars dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré au sujet de l'offensive russe sur la ville: «Ils ont l'ordre clair de prendre Marioupol en otage, de s'en moquer, de la bombarder et de la bombarder constamment».
En attendant des jours meilleurs qui semblent pour le moment bien lointains, les habitants de Marioupol tentent de trouver un minimum de confort comme ils le peuvent. Les gens brûlent des bouts de meubles dans des grils de fortune pour se réchauffer les mains dans le froid glacial et faire cuire le peu de nourriture qu'il reste. Les grils eux-mêmes sont construits avec la seule chose dont on dispose en abondance: des briques et des tessons de métal provenant des bâtiments détruits et éparpillés dans les rues.
Plusieurs appels à la création de couloirs humanitaires pour évacuer les civils sont restés lettre morte, jusqu'à ce que les responsables ukrainiens déclarent mercredi qu'environ 30 000 personnes avaient fui la ville dans des convois de voitures. Des frappes aériennes et des obus ont touché la maternité, les pompiers, des maisons, une église, un champ devant une école. Pour les centaines de milliers de personnes qui restent, il n'y a tout simplement aucun endroit où aller.