Taxer davantage les plus riches et les entreprises qui réalisent des «super profits» alors que l’inflation ronge les portefeuilles des Français et leur pouvoir d’achat: l’idée reste écartée par Emmanuel Macron. Mais pour la gauche et la droite nationale populiste, la solution est bien là. «Comment faire cesser ces écarts indécents de richesses? Alors que des millions de personnes ont plongé dans la misère? Des mesures de rupture doivent être mises en place» plaidait, avant les élections législatives des 12 et 19 juin, un éditorial de «L’Insoumission», le journal de la France Insoumise, le mouvement de gauche radicale dirigé par Jean-Luc Mélenchon.
Impôt sur la fortune, taxe sur l’héritage
La Nouvelle union populaire (NUPES), qui regroupe désormais la plupart des députés de gauche, l’avait mis dans son programme: «Rétablissement et renforcement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), héritage maximal de 12 millions d’euros et augmentation des droits de succession sur les plus hauts patrimoines, imposition des revenus du capital a minima comme ceux du travail, rétablissement de l’exit tax (ndlr: acquittée jusqu’en 2017 par les expatriés souhaitant quitter la France) supprimée par Emmanuel Macron, relance prioritaire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.»
236 milliards d’euros de recettes fiscales envisagées
Toutes ces mesures, supposées rapporter 236 milliards d’euros en 19 mois selon la Nupes si elles étaient appliquées, sont restées lettre morte, puisque la majorité présidentielle conserve 245 sièges de députés sur 577, et que la droite traditionnelle en a 61. Les deux, alliées, peuvent donc bloquer toute tentative. Mais dès l’examen, cette semaine, du premier projet de loi du quinquennat sur le pouvoir d’achat (adopté en première lecture par les députés jeudi 21 juillet), la demande est revenue en force, portée par un soutien de poids: le nouveau président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale Éric Coquerel, issu de la France Insoumise et résolu à s’attaquer fiscalement aux plus hauts revenus et aux fraudeurs potentiels.
Marine Le Pen est pour
Possible que l’ISF revienne? Possible que la France, comme l’ont fait le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne (dans des proportions moins importantes que celles réclamées par les défenseurs de ce projet à paris) adopte bientôt une taxe sur les superprofits, avec dans le viseur le géant pétrolier Total et ses seize milliards de bénéfices en 2021? Oui. Marine Le Pen, patronne du Rassemblement national et désormais présidente d’un groupe fort de 89 députés, a même lancé un mot d’ordre qui fait frémir, en qualifiant toutes les entreprises françaises largement bénéficiaires du secteur de l’énergie de «profiteurs de guerre». Depuis plusieurs mois, sa formation propose de surtaxer les «pétroliers», mais aussi le géant marseillais du transport maritime CGA- CGM qui a annoncé en juin un bénéfice de sept milliards d’euros. Et surprise, des députés de la majorité s’y sont aussi déclarés favorables: «Oui, nous ferons payer les profiteurs de la crise a renchéri l’un d’entre eux, Sacha Houlié. Parce que je suis opposé aux rentes, j’affirme que les entreprises qui tirent de la crise des profits doivent payer plus. Pour le pouvoir d’achat, pour la justice sociale, pour la transition écologique».
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Bruno Le Maire en rempart
Le rempart, aujourd’hui, est le ministre des finances Bruno Le Maire. Pourquoi? Parce que pour lui, comme pour Emmanuel Macron, la priorité doit rester l’attractivité de la France pour les investisseurs étrangers (6,7 milliards de projets d’investissements annoncés pour 2022 au dernier sommet Choose France le 11 juillet), et la création d’emplois par les entreprises qui s’enrichissent. Le ministre fait aussi remarquer que l’évasion fiscale des particuliers a largement été traitée par l’important mouvement de régularisation entamé sous le mandat de François Hollande (52 000 comptes déclarés et 32 milliards d’avoirs régularisés) jusqu’à fin 2017, date de la fermeture du dispositif exceptionnel mis en place après la découverte de la fraude de l’ex ministre socialiste du budget Jérôme Cahuzac.
Attention toutefois: le nouveau président de la Commission des finances Eric Coquerel n’est pas du tout convaincu que le ménage a été fait. Pour lui, les «gros poissons» ont échappé à cette traque fiscale. Ce que confirmait la Cour des comptes dans un rapport dédié: celle-ci estimait, en 2017, que les fraudeurs régularisés étaient pour la plupart «passifs» ou «de petite envergure». «Dans la plupart des cas, les comptes se trouvaient en Suisse ou au Luxembourg» notait la Cour.
58,3% du PIB français part en dépenses publiques
Le retour de l’impôt sur la fortune (quatre milliards d’euros de recette fiscale en 2017) permettrait en plus à Emmanuel Macron de gommer son image de «président des riches» qui lui colle à la peau. La réforme de ce dispositif institué en 1982 dès l’arrivée au pouvoir de la gauche sous François Mitterrand, n’aurait toutefois rien du «Graal» fiscal en termes de recettes: l’organisme France Stratégie estimait, fin 2020, que sa transformation en impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) «a entraîné une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations de ménages français fortunés. Le mouvement inverse risque donc de mettre fin à cette dynamique bénéfique pour les finances de l’État».
Reste la question centrale, en France, de la justice fiscale. Selon le magazine «Challenges», les 500 plus grandes fortunes professionnelles de France disposent d’un patrimoine de 1 002 milliards d’euros, en hausse de 5% en 2021. Le premier est Bernard Arnaud (groupe LVMH), avec 149 milliards d’euros. Dans un pays toujours travaillé au corps par l’idéologie révolutionnaire, où les dépenses publiques ont atteint 58,3% du produit intérieur brut en 2021 (record en Europe, 25% en Suisse), les partisans des «super taxes» ne vont pas lâcher prise.