Le dictateur Bachar al-Assad a régné sur la Syrie pendant 24 ans. Avec le règne de son père Hafiz (1930-2000), cela fait au total 54 ans de dynastie Assad brutale, qui a déclenché une guerre civile en 2011.
Aujourd'hui, Bachar al-Assad n'est plus là. En seulement douze jours, les rebelles dirigés par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) ont réussi à faire ce que les adversaires d'Assad avaient auparavant tenté sans succès pendant des années: chasser le dirigeant détesté. Quel sera le succès du nouveau gouvernement? A quels attentats de l'EI faut-il s'attendre? Le professeur de l'Université de Berne Reinhard Schulze, expert du Moyen-Orient, répond aux principales questions.
Monsieur Schulze, les nouveaux dirigeants ont promis d'être tolérants envers les autres. Peut-on leur faire confiance? Après tout, selon certains rapports, des membres de HTS auraient abattu des partisans d'Assad dans leur lit d'hôpital.
Si le nouveau régime veut survivre, il doit créer une forme de politique inclusive qui corresponde à la réalité de la société syrienne diversifiée. S'il n'y parvient pas, il risque de retomber dans une dictature ethnonationaliste. Je pense que cela est peu probable au vu de l'expérience de la population syrienne, qui a dû supporter une telle dictature pendant plus de 60 ans.
Les Américains restent en Syrie pour éviter une résurgence de l'EI. Quelle est la force actuelle de ce groupe islamiste?
En février 2019, le Conseil de sécurité de l'ONU a estimé la force de l'EI au Levant (côte est de la Méditerranée) à environ 5000 à 10'000 hommes, troupes et familles comprises. Il exerce encore dans la steppe le contrôle d'un bassin de population représentant 2 à 3% de la superficie de la Syrie. Il est probable que l'EI ait depuis longtemps déplacé son centre politique vers l'Afghanistan et l'Asie centrale. Il ne sera probablement plus qu'un facteur indirect en Syrie.
Quel danger pourrait représenter l'EI?
Il tentera de perturber le processus de formation de l'État et de la société par des attentats ciblés. Une attaque typique de l'EI serait par exemple un attentat contre l'un des sanctuaires chiites en Syrie.
Comment les rebelles ont-ils réussi à renverser Bachar al-Assad en si peu de temps?
L'offensive était extrêmement bien préparée. Les planifications remontaient jusqu'en 2019. Durant cette période, l'entraînement, les stocks d'armes et la structure de commandement ont été unifiés et améliorés. Il y avait désormais un commandement général sous des chefs militaires de même rang. Au fur et à mesure de l'offensive, de plus en plus de localités ont été prises, et ce par des acteurs locaux en coordination avec les rebelles. Plus les combats se calmaient, plus l'effet de mobilisation se renforçait.
Pourquoi l'armée d'Assad n'a-t-elle pas protégé le souverain?
Parce que l'armée et les milices qui lui étaient alliées étaient ravitaillées de manière catastrophique et n'étaient plus organisées de manière homogène. Enfin, l'échec de l'offensive russo-syrienne contre Idlib à l'été 2020 avait montré que les troupes russes n'étaient pas forcément supérieures.
Poutine a-t-il laissé tomber Bachar al-Assad?
Il a déjà été suggéré que le Kremlin a toujours planifié l'après-Assad. Après tout, la Russie veut conserver ses bases militaires, notamment celle de Hmeimim. Je ne parlerais toutefois pas d'un abandon, mais plutôt d'un échec de la stratégie. La Russie n'a jamais réussi à traduire en politique son protectorat militaire sur la Syrie. C'est ainsi qu'un réseau d'oligarchies, justement liées au trafic de drogue, a pu se former sous la protection de la Russie. Leurs intérêts dominaient et contrecarraient souvent les plans russes sur place.
Comment les rebelles ont-ils obtenu autant d'armes?
Le HTS et les milices alliées ainsi que l'Armée syrienne libre ont pu, dans la phase initiale de l'offensive, s'emparer de manière ciblée de dépôts d'armes de troupes fidèles au régime et ainsi améliorer leur équipement. L'équipement standardisé a probablement aussi été rendu possible par des services turcs officiels et/ou officieux. Beaucoup de matériel a été acquis à crédit, d'autres ont été livrés par des voies détournées. Cela montre que les milices rebelles disposent d'un réseau qui fonctionne bien.