Bachar al-Assad a régné d'une main de fer sur la Syrie durant 24 ans. Après son éviction du pouvoir et sa fuite à Moscou dans la nuit du 7 décembre, on en apprend de plus en plus sur le dictateur déchu, tant sur la guerre qu'il a menée contre sa propre population que sur sa vie de luxe.
Mais comment l'ancien dirigeant syrien a-t-il pu se permettre ce train de vie, alors qu'il était complètement isolé sur le plan économique, à l'exception de l'appui de ses alliés russe et iranien? Un regard sur le marché de la drogue permet d'éclaircir la situation.
L'afflux de captagon en provenance de Syrie
En automne 2023, 480 kilos de captagon – une drogue de synthèse – ont été saisis en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Plus de 3,2 millions de pilules cachées dans des sacs de sable, d'une valeur d'environ 55 milliards de francs, ont mené quatre Syriens sur le banc des accusés. C'était, à l'époque, la plus grande affaire de captagon d'Allemagne. Mais en général, la drogue a surtout été fabriquée en Syrie.
Au cours des 20 dernières années, le régime de Bachar al-Assad s'est transformé en un dangereux cartel de la drogue. Isolé sur le plan international, le régime a utilisé des milliards issus du commerce illégal de captagon pour survivre malgré les sanctions économiques, comme l'explique l'islamologue Caspar Schliephack dans son étude sur le cartel du captagon d'Assad.
En collaboration avec des milices comme le Hezbollah, le dirigeant a fait produire cette drogue synthétique de manière industrielle et en a inondé tout le Proche-Orient. Entre 30 et 40 milliards de dollars ont été récoltés chaque année pour soutenir l'économie syrienne. Un montant considérable pour un pays qui a été sanctionné au niveau international.
Un narco-Etat
A l'origine, le captagon était surtout produit dans les Balkans. A partir de 2005, sa production s'est déplacée de plus en plus vers le Proche-Orient, notamment vers la Syrie et le Liban. Selon Caspar Schliephack, le captagon dans la région représentait déjà 75% des stimulants de type amphétamine détectés dans le monde en 2009.
Au début de la guerre civile syrienne en 2011, le régime de Bachar al-Assad a reconnu que le captagon était une source de revenus centrale pour sa survie. Il a alors transféré la production en Syrie et l'a développée en masse. Un business qui constituait de loin le pilier de l'économie de guerre syrienne. Le régime a coopéré étroitement avec le Hezbollah libanais dans ce domaine. Car la drogue est fréquemment utilisée par les groupes armés de la région: par exemple, lors de l'attaque du 7 octobre 2023, de nombreux combattants du Hamas étaient sous captagon.
Selon l'Union européenne (UE), le business du captagon est devenu «un modèle économique dirigé par le régime, qui enrichissait son cercle interne et constituait son artère vitale». C'est pourquoi la Syrie a été de plus en plus souvent qualifiée de narco-Etat.
Production industrielle et contrebande
Les cartels du Levant, nom donné à la coopération entre le régime de Bachar al-Assad et le Hezbollah, sont ainsi parvenus à industrialiser la production de captagon. Il y aurait jusqu'à dix usines dans le sud de la Syrie, capables de produire jusqu'à 10 millions de pilules par mois. Les cartels utilisent ensuite toutes les voies de transport imaginables pour la contrebande: par terre, par mer et par avion – cachées dans des aliments ou des appareils hi-fi, comme des chaînes stéréo.
La voie maritime, via les ports syriens et libanais, a joué un rôle primordial dans le commerce. Des quantités énormes ont été transportées: en 2020, 84 millions de pilules d'une valeur de plus d'1 milliard d'euros ont été découvertes en Italie sur un bateau en provenance de Syrie.
Quel est l'avenir de la drogue?
Comme on peut le voir sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, des milices auraient découvert des entrepôts de captagon qui contenaient des millions de pilules. Ils seraient gérés par le frère de Bachar al-Assad, Maher. Après sa chute, des systèmes de tunnels ont été découverts sous sa propriété; ils auraient également servi de voies de transport pour acheminer de la drogue. Des vidéos montrent les rebelles en brûler. Il est toutefois difficile de dire si cela mettra fin au narco-Etat.
L'avenir des sites de production est incertain. Il est difficile d'imaginer que les rebelles du nouveau régime syrien se privent d'un marché de plusieurs milliards. Le marché est déjà trop bien établi en Arabie saoudite, mais aussi en Europe. Il est peu probable que l'approvisionnement s'effondre.