Pressions phénoménales
Pourquoi Joe Biden a tant tardé à dire adieu à un second mandat?

Le président des États-Unis Joe Biden croyait sans doute jusqu'au bout dans ses chances face à Donald Trump. Mais il a aussi, en vieux routier de la politique, misé sur le calendrier pour favoriser Kamala Harris et éviter les divisions.
Publié: 22.07.2024 à 06:12 heures
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Dernière mise à jour: 22.07.2024 à 09:10 heures
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Joe Biden soutient la candidature de Kamala Harris. Mais les pressions pour une primaire démocrate ouverte continuent.
Photo: Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

La présidence de Joe Biden demeurera marquée du sceau de la tragédie. Car c’est bien une tragédie personnelle qui vient de se dénouer sous nos yeux, avec cette lettre aux Américains mise en ligne sur le réseau social X d’Elon Musk, le milliardaire désormais fanatique partisan de Trump.

Tragédie d’un homme rattrapé, comme tant de nos connaissances, par l’impuissance de la vieillesse. Tragédie d’un président au bilan solide, incapable de le défendre face à celui qui l’a tant combattu. Tragédie d’un politicien dont la vie entière d’élu a tourné autour du pouvoir, de l’exercice de celui-ci, et autour de la continuité de l’État.

Cette tragédie ne doit pas, néanmoins, nous empêcher d’y voir clair sur les buts de l’attentisme du «vieux Joe», qui aura 82 ans le 20 novembre, quinze jours seulement après l’élection présidentielle américaine, alors que s’achèvera son séjour à la Maison-Blanche. Vieux routier de la politique, expert en manœuvres au Congrès après avoir siégé sans interruption comme sénateur du Delaware depuis 1972, Joe Biden a calculé.

Fin de la convention Républicaine

Il a attendu la fin de la convention républicaine de Milwaukee et le choix comme colistier du Sénateur de l’Ohio J. D. Vance, très anti-féministe, pour tirer les conséquences de la force phénoménale de Donald Trump. Il a aussi, à n’en pas douter, attendu que les futurs stratèges embauchés pour la campagne de Kamala Harris lui donnent leur feu vert.

Kamala Harris reste une candidate par défaut, et cela lui collera sans doute à la peau. Mais elle a certainement passé ces dernières semaines à peaufiner son entrée en lice, et à préparer ses attaques contre Donald Trump. Il lui fallait du temps pour qu’en bonne procureure qu’elle est, elle parvienne à «monter son dossier».

Course à la présidence

Joe Biden a aussi, par son retard à quitter la course pour la présidence, joué un rôle de paratonnerre. C’est sur lui que Donald Trump a lancé les attaques les plus virulentes. C’est au contraste avec un Biden vieillissant et très affaibli que Trump, 78 ans, doit d’apparaître si fort et si prêt à réussir l’impossible et l’impensable: un retour victorieux à la Maison-Blanche après avoir été battu en 2020. Or voici aujourd’hui l’ex-promoteur new-yorkais contraint de changer brusquement de cap.

Sa cible n’est plus maintenant un vieillard, vétéran des couloirs politiques américains, mais une femme de 59 ans, ex-procureure, juriste de formation, et capable d’engranger les soutiens des plus grosses fortunes progressistes du pays, qu’elle a toujours pris soin d’épargner, même lorsqu’elle a prononcé des condamnations contre leurs entreprises. Trump peut toujours faire donner son artillerie de slogans et d’accusations. Il lui faut désormais trouver des failles dans la vie et les accomplissements de Kamala Harris. Ce qui sera sans doute moins facile.

Dernière raison de ce très (et trop?) lent départ de la course à la Maison-Blanche: la résistance. Joe Biden s’est montré, tout au long de sa carrière, extraordinairement résilient. Il a tenu, puis triomphé. Or cette résistance peut, in fine, servir de capital aux démocrates face aux Républicains.

En quittant la politique, en passant le relais, bref, en abdiquant devant son âge, Joe Biden vient de raconter une histoire comme l’Amérique est capable de les mettre en scène. Bien sûr, l’homme espérait tenir. Sa fierté l’empêchait d’accepter la réalité. Puis son désastreux débat télévisé face à Trump est intervenu. Il a ce jour-là tout perdu sur la forme, mais pas sur le fond. Trump ne l’a pas terrassé. C’est Biden qui a tué Biden, en direct devant les caméras.

Une terre de légendes

L’Amérique est une terre de légendes. Elle les aime. Et Joe Biden, par son calvaire personnel, en a peut-être écrit une qui va faire mouche. Franklin D. Roosevelt fut un président physiquement diminué qui n’en reste pas moins au panthéon des grands leaders américains.

Or la matière existe pour écrire la légende Biden. Son package de mesures de relances économiques post-covid de 1700 milliards de dollars. Ses grands chantiers d’aéroports et de nouvelles routes, financées à hauteur de 1000 milliards de dollars. Son obstination à défendre l’Ukraine coûte que coûte. Sa franchise face à Poutine, qu’il n’a pas hésité à qualifier de tueur. Sa première nomination d’une Afro-Américaine, Ketanji Brown Jackson. Tout cela, Joe Biden va le laisser derrière lui pour sa pugnace vice-présidente, Kamala Harris.

Des gaffes comme héritage

Joe Biden savait que le monde entier rigolait de ses gaffes. Il savait que de moins en moins d’Américains le considéraient capable de conduire leur pays dans ce monde en pleines convulsions qui est le nôtre. Partir plus tôt, dès les premiers avertissements des médias, aurait toutefois fragilisé l’édifice qu’il a construit.

L’histoire ne dit pas, bien sûr, si cette stratégie attentiste était la bonne. Elle aura en tout cas obligé Donald Trump à renchérir sans cesse dans les attaques les plus basses. Elle a conduit l’ancien président à se caricaturer encore plus. C’est-à-dire à se fragiliser, car maintenant que Biden est «out», tous les démocrates et les anti-Trump vont se rassembler. Et mener la contre-offensive contre le ticket Trump-Vance, en misant sur une dynamique nouvelle: celle de l’après-Biden, construite avec et grâce à Joe Biden.

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