Le fait que l'Ukraine et la Russie puissent soudainement s'adonner à une guerre chimique est une perspective particulièrement effrayante. Depuis leur premier emploi lors de la Première Guerre mondiale, ces instruments de guerre suscitent presque autant l'effroi que la menace du nucléaire.
La Suisse a ratifié en 1995 l'accord interdisant le développement, la production, la possession, la diffusion et l'usage des armes chimiques, accord reconnu par 143 Etats en mai 2001, comme l'explique le Dictionnaire historique de la Suisse.
Une guerre chimique est cependant une hypothèse «peu plausible», estime Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), centre d'expertise français sur les questions de sécurité internationale et de défense.
Va-t-on vers une escalade et l'emploi effectif d'armes chimiques?
Olivier Lepick: Il y a plusieurs éléments qui militent pour le fait que ce soit une hypothèse peu plausible. La Fédération de Russie est membre de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), une violation par la Russie des termes de la convention serait problématique parce que cela signifierait que depuis des années la Russie a menti sur le fait qu'elle ne possède plus d'arsenal chimique militaire, même si on a toujours des questions sur la réalité de cet engagement. Et les tentatives d'assassinats d'Alexeï Navalny et de Sergueï Skripal avec un agent organophosphoré neurotoxique de nature militaire (le Novitchok, ndlr) ont renforcé ces doutes.
Même si on peut penser que la Russie, et Poutine en particulier, s'exonèrent de ce que peut penser l'opinion publique mondiale, on franchirait une marche supplémentaire dans la terreur et donc la désapprobation des opinions publiques internationales, ce qui risquerait également de renforcer le régime de sanctions qui est déjà extrêmement sévère.
Et on ne voit pas très bien d'un point de vue militaire l'intérêt à utiliser une arme chimique sur le théâtre ukrainien. Le seul argument que je vois qui pourrait contredire ma conviction, c'est le précédent syrien, qui laisse à penser que c'est une arme qui a peut-être peu d'intérêt militaire mais une dimension psychologique gigantesque. Mais je ne crois pas beaucoup à une escalade chimique ou biologique sur le théâtre ukrainien. C'est un narratif qui est un peu un marronnier dans la communication des Russes en cas de conflit, c'est-à-dire de préempter et d'accuser l'adversaire des pires forfaitures pour justifier a posteriori l'opération.
Quel serait l'effet recherché?
L'arme chimique peut avoir un intérêt sur le champ de bataille, mais là on est en Ukraine dans du combat urbain. Cela signifie donc que les populations civiles, même s'il y en a beaucoup qui ont quitté les villes, sont extrêmement présentes.
Dans le combat urbain, l'arme chimique n'a pas d'intérêt tactique. On l'a vu en Syrie, cela a été utilisé de manière ponctuelle sur des populations civiles pour les terroriser, mais pas du tout pour favoriser une progression offensive de forces militaires.
La nature du conflit en Ukraine a évolué, les Russes mènent de plus en plus d'actions contre les populations civiles. Devant le piétinement de l'armée russe, le barycentre de la guerre s'est déplacé vers une volonté de terroriser les populations ukrainiennes et de les viser directement de manière à affecter la capacité de résistance du pays.
Qu'en est-t-il de l'utilisation d'armes biologiques?
C'est encore plus compliqué d'emploi. Contrairement à l'arme chimique qui a un degré d'efficacité lié à l'endroit où elle a été disséminée, l'arme biologique est comme le Covid: une fois que c'est dans la nature cela peut contaminer toute la population, y compris les assaillants.
On est sur quelque chose qui est beaucoup plus difficile à manier d'un point de vue militaire. Ce n'est pas une arme tactique, c'est une arme stratégique qui se rapproche en ce sens un peu plus du nucléaire que des armes chimiques.
(AFP/dg)