Nationalistes, critiques envers l'UE et hostiles aux migrants: les partis de la droite populiste européenne ont de nombreux points communs. Mais ils ont aussi des divergences. De grosses divergences même. Au point d'engendrer de grosses disputes, à deux semaines des élections européennes qui auront lieu du 6 au 9 juin.
Ainsi, le Rassemblement national (RN) français de Marine Le Pen a rompu avec son allié allemand d'extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD). Le président du parti Jordan Bardella a quant à lui déclaré qu'il ne voulait plus siéger au Parlement avec l'AfD.
La raison: le chef de file de l'AfD, Maximilian Krah, dont le collaborateur personnel a été arrêté pour des soupçons d'espionnage, a déclaré dans une interview qu'un SS n'était «pas automatiquement un criminel». De quoi susciter l'ire des Français, qui lui reprochent maintenant de minimiser les crimes nazis. Et pour Marine Le Pen, pas question d'être associée à de tels dérapages, elle qui entend bien briguer la présidence française en 2027.
Le Kremlin: point de friction
Cette querelle remonte en fait à novembre 2023, lorsque l'AfD avait organisé une réunion secrète sur le thème de la «remigration». Marine Le Pen s'en était distanciée et avait menacé de mettre fin à la collaboration entre les deux partis. Or, le RN, l'AfD ainsi que le FPÖ autrichien forment au Parlement européen le groupe d'extrême droite Identité et Démocratie (ID). Ce groupe existera-t-il encore après les prochaines élections? Rien n'est moins sûr.
La querelle entre le RN et l'AfD n'est de loin pas la seule au sein de l'extrême-droite européenne. La politique financière et les relations avec la Russie sont également en cause. Au début de l'année, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a ainsi parlé de «différences irréconciliables» entre son parti de droite, Fratelli D'Italia, et l'AfD. En cause, la proximité de l'AfD avec Moscou. Il faut dire qu'outre ses positions prorusses, l'AfD compte en son sein des politiciens fortement soupçonnés de percevoir de l'argent du Kremlin.
Le FPÖ autrichien, le RN français et le Fidesz hongrois entretiennent également des relations étroites avec Moscou. Tout le contraire du PiS polonais et des Finlandais du Perussuomalaiset qui, du fait de leur proximité géographique, sont directement confrontés à la menace russe et refusent tout rapprochement avec Moscou.
Des disputes sur les aides financières
En matière de politique financière, le nationalisme met à mal les perspectives communes en matière d'économie: «Les partis d'extrême droite sont d'accord pour aspirer à une plus grande souveraineté économique dans leur propre pays, mais c'est cette vision nationaliste qui entraîne des désaccords entre eux», écrit Philip Rathgeb, économiste à l'université d'Edimbourg, sur la plateforme en ligne intereconomics.eu.
L'expert observe un net clivage nord-sud sur le sujet. En effet, les pays méridionaux ont particulièrement souffert des conséquences de la crise économique et ils espèrent ainsi obtenir un soutien de la part d'États de l'UE mieux lotis afin de pouvoir effacer leurs dettes et rétablir leur indépendance économique. «A l'inverse, les pays d'Europe du Nord qui empruntent de l'argent considèrent cette mesure comme une atteinte à l'autodétermination nationale», constate Philip Rathgeb.
L'AfD a ainsi employé des moyens légaux pour empêcher la mise en place de «NextGenerationEU» (NGEU), un fond de plusieurs milliards ayant pour but d'endiguer les conséquences de la pandémie. Afin que les Etats puissent mieux maîtriser leurs finances, l'AfD et le FPÖ réclament en outre davantage de sanctions contre les Etats en déficit budgétaire. De telles mesures punitives sont rejetées par les partis d'extrême droite belge, français et italien.
Pas de front commun en vue
Les partis d'extrême droite pourraient devenir la première force dans neuf pays lors des élections européennes de juin, notamment en France, en Italie et aux Pays-Bas. C'est ce qu'affirme l'influent politologue bulgare Ivan Krastev, directeur du Centre for Liberal Stategies à Sofia, dans une interview publiée sur le site du média allemand «Der Spiegel».
Mais si l'idée d'un front de droite suscitait les craintes avant les élections de 2019, il s'est vite avéré que les partis populistes se sont dispersés – parfois fortement – et ont fini par évoluer différemment: «Il n'existe pas de front unique de droite en Europe – du moins pas avec les mêmes idées, perspectives et groupes d'électeurs», résume Ivan Krastev.