L’Union européenne a plus qu’un léger rhume. Elle est gravement malade, et redoute le moindre faux pas. Celui-ci pourrait impacter l’économie et plonger l’UE dans une récession. Surtout dans le cas de l’Italie.
Jeudi, la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté son taux directeur pour la première fois depuis onze ans. Elle a agi bien plus tard que les Etats-Unis ou la Suisse. La raison? Plusieurs Etats membres de l’UE souffrent d’un endettement massif, ce qui limite considérablement la marge de manœuvre de la BCE. En effet, des taux d’intérêt plus élevés pourraient amener les pays endettés au bord de la faillite, car pour eux, emprunter de l’argent devient désormais plus cher.
L’Italie, un danger pour toute la zone euro
Parmi les pays de la zone euro, la Grèce reste le plus mauvais élève avec un taux de dette publique par rapport au PIB très élevé, de près de 202%. L’Italie est également sur le podium avec un endettement de plus de 154%. La situation est aggravée par la crise gouvernementale. Si le gouvernement de Rome emprunte de l’argent sur le marché, cela lui coûtera plus cher en raison des primes de risque, que si le gouvernement allemand, dont la dette publique est faible, fait de même.
C’est pourquoi la BCE s’est vue contrainte de mettre en place le «Transmission Protection Instrument», ou TPI, en même temps que la hausse des taux d’intérêt. Avec cet outil, elle veut maintenir les taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat aussi uniformes que possible au sein de la zone euro.
«Si l’Italie ne peut plus honorer sa dette publique, l’UE aura un problème. Une faillite de l’Etat italien déchirerait la zone euro, explique Reto Föllmi, professeur d’économie à l’université de Saint-Gall. L’UE ne pourrait pas assumer l’endettement de la troisième économie nationale parmi ses membres.»
Les taux d’intérêt vont encore augmenter
Le relèvement des taux d’intérêt de 0,5 point ne mène pas encore l’Italie au bord du gouffre. Mais la BCE a déjà annoncé de nouvelles hausses. Car dans la lutte contre l’inflation, la première étape ne devrait pas suffire. Dans des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, elle se situait déjà fin juin entre 8,2% et 10%. Dans les pays baltes, la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie, elle s’élève même à entre 19,2% et 22%. A titre de comparaison, l’inflation en Suisse se situe autour de 3,4%.
Reste à savoir dans quelle mesure la BCE va encore serrer la vis. «C’est difficile à prévoir, avance Reto Föllmi. Mais tant que les taux d’intérêt seront nettement inférieurs à l’inflation de base, l’UE ne parviendra pas à maîtriser l’inflation.» L’inflation de base s’élève actuellement à 3,7%. Ce chiffre exclut les produits très volatils comme l’énergie ou les denrées alimentaires.
La BCE devra donc peut-être encore augmenter le taux directeur de plusieurs points pour maîtriser l’inflation. Un taux directeur aussi élevé serait très difficile à supporter pour les pays endettés.
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L’Italie a besoin de réformes
«Si les taux d’intérêt de l’Italie atteignent 5%, le pays devrait consacrer 7,5% de son produit intérieur brut au seul paiement des intérêts, compte tenu de son endettement actuel», explique le professeur d’économie. Dès que les intérêts engloutissent 10% du PIB, cela devient difficilement supportable.
Des réformes structurelles urgentes seraient nécessaires dans les pays endettés. Le développement de l’économie italienne stagne depuis des décennies. «Les salaires sont pratiquement au même niveau qu’il y a 20 ans et la capacité fiscale n’a donc pas augmenté», explique Reto Föllmi.
Il cite deux points de départ: l’Italie devrait de toute urgence assouplir son droit du travail et rendre son système de formation plus pratique afin que les employés puissent accéder plus facilement au marché du travail. Mais c’est là que l’un des points faibles du TPI pourrait se retourner contre lui. Si la BCE corrige les taux d’intérêt des pays lourdement endettés, la pression pour faire les réformes nécessaires diminue.
La fin de la guerre pourrait éviter la récession
Avec les baisses de taux d’intérêt dues, l’UE risque en outre d’entrer en récession, ce qui mettrait un coup de frein supplémentaire aux Etats membres en difficulté. «Il est actuellement impossible de dire si une récession se produira vraiment et combien de temps elle pourrait durer», souligne Reto Föllmi.
Une fin rapide de la guerre en Ukraine pourrait éventuellement éviter une récession, voire une nouvelle crise de la dette dans la zone euro. Les prix de l’énergie devraient alors se normaliser et l’inflation s’affaiblir nettement. Mais Reto Föllmi n’est pas confiant: «Ce scénario est malheureusement plutôt improbable à l’heure actuelle.»
(Adaptation par Lliana Doudot)