Samedi, les derniers combattants ukrainiens rendant les armes dans l'aciérie d'Avozstal faisait de facto tomber Marioupol en mains russes. Cette victoire inaugure-t-elle une série d'autres succès, ou s'agit-il d'une victoire à la Pyrrhus pour l'armée russe, épuisée? Car ses pertes sont lourdes.
Trois mois après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la prise de la cité portuaire pourrait remonter le moral des troupes de Poutine, qui peinent à remporter des victoires dans cette guerre. Le retrait de Kiev aura été une expérience amère pour le Kremlin. Les troupes russes pourraient désormais décider de se concentrer sur Kharkiv, deuxième ville du pays et bastion de l'est, où elles sont en difficulté.
Combien de temps la Russie pourra-t-elle encore mener son agression? Gustav Gressel, expert militaire russe qui travaille pour le «European Council on Foreign Relations (ECFR)», est formel: il n'y en a «plus pour longtemps», a-t-il déclaré au «Tages-Anzeiger». Pour ce qui est de la guerre de mouvement, du moins (quant au conflit en général, comme expliqué ci-dessous, l'heure n'est pas encore aux réjouissances).
Des pertes russes difficiles à compenser
Gustav Gressel explique les raisons derrière son constat au journal zurichois. «La Russie n'a pas su minimiser ses pertes, notamment en ce qui concerne les forces blindées et l'infanterie mécanisée, explique l'expert. Les forces russes en Ukraine commencent à être usées.» Selon lui, elles pourraient se retrouver à bout de souffle dans quelques semaines à peine, dès le mois de juin.
Le Kremlin a en effet subi de lourdes pertes humaines, qui sont difficiles à estimer cependant, car ce dernier est tout sauf transparent à ce sujet. Mais aussi des pertes matérielles. On se souvient, dans les premières semaines du conflit, des chars russes en panne d'essence capturés par les Ukrainiens et tirés par des tracteurs.
Une aide occidentale importante
Chez les Ukrainiens, l'usure est mieux gérée et compensée que chez les Russes. Premièrement, les pertes au sein de ses rangs seraient, selon les diverses estimations, proportionnellement moins élevées que du côté russe. Bien qu'environ 2'500 soldats ukrainiens se soient faits capturer à la chute d'Azovstal.
Du côté matériel, le gouvernement de Volodymyr Zelensky reçoit armes et munitions de la part des pays occidentaux. On a ainsi récemment pu voir des obusiers américains de type M777 être utilisés pour pilloner les lignes russes, par exemple.
L'armée russe a du mal à se déplacer
«La tactique des soldats russes consiste à encercler leurs ennemis ukrainiens. Mais les flancs de l'attaquant sont alors très vulnérables», indique Gustav Gressel. Les Ukrainiens en profitent pour attaquer au niveau de ces points faibles. À Kharkiv, grâce à cette tactique, ils ont pu récemment regagner de grandes quantités de terrain.
De fait, l'armée russe a du mal à se déplacer sur le terrain ukrainien. D'autant que, jusqu'à présent, elle n'a pas réussi à gagner la souveraineté aérienne, un élément qui a par ailleurs surpris de nombreux observateurs.
À cela s'ajoutent les problèmes logistiques et le manque de personnel. «L'Ukraine a déployé des forces dans le Donbass plus rapidement que les Russes», explique Gustav Gressel.
Une contre-attaque ukrainienne à venir?
Si les succès continuent de faire défaut aux troupes de Poutine, les forces russes pourraient bientôt s'épuiser, estime l'expert. Cela n'indique cependant pas que la guerre serait terminée, mais la guerre de mouvement se transformerait alors en une guerre de positions.
«Cela serait à l'avantage de l'Ukraine, prévient Gustav Gressel. Et si l'Ukraine n'a pas encore usé l'armée russe au point de pouvoir lancer des contre-attaques d'envergue dans les zones disputées, cela pourrait bien changer dans les prochaines semaines.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)