L'analyse d'un expert américain
«Poutine part du principe qu’il perdra la vie en cas de défaite en Ukraine»

Que fera Poutine s'il perd sa guerre en Ukraine? Un éminent politologue américain estime que l'armée russe ne quittera pas le territoire de son voisin sans pouvoir défendre son bilan. Et que les menaces nucléaires de Poutine ne sont pas à prendre à la légère.
Publié: 20.05.2022 à 14:08 heures
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Vladimir Poutine est-il sûr de sa victoire? Pense-t-il aux conséquences d'une défaite? Personne ne le sait, à l'exception du chef du Kremlin lui-même.
Photo: IMAGO/SNA
Fabian Vogt

Que fera Vladimir Poutine s’il perd la guerre? Le président russe a joué en effet le tout pour le tout en engageant ses forces vives dans l'invasion. Les Ukrainiens sont optimistes quant au fait que les Russes n’arriveront pas à progresser davantage sur leur territoire.

Que va faire Poutine en cas d’échec? Va-t-il simplement se retirer? Compte-t-il se suicider, à l’instar d’un Adolf Hitler? Ou fera-t-il exploser une bombe atomique dans un acte de désespoir?

Le politologue américain Graham Allison a tenté d’évaluer les différents scénarios qui suivraient en cas de défaite russe. Et il a un avis bien tranché sur ce qui va arriver à Poutine dans ce cas. «Il part du principe qu’il perdra la vie en cas de défaite», a-t-il déclaré au magazine allemand «Der Spiegel».

Poutine deviendra-t-il l’homme qui a perdu l’Ukraine?

Graham Allison a dirigé la John F. Kennedy School of Government et le Belfer Center for Science and International Affairs de l’université de Harvard. Pendant des années, il a également été chef de la planification du Pentagone.

Fin connaisseur de l’étude des crises, il a coordonné la stratégie américaine vis-à-vis des États ayant succédé à la chute de l’Union soviétique, à la fin de la guerre froide. Dans l’un de ses livres, l'universitaire a en outre analysé les contraintes et les motivations des décideurs politiques.

Graham Allison estime qu’en cas de défaite, «Poutine entrera dans l’histoire russe comme l’homme qui a perdu l’Ukraine, voire qui a permis une renaissance de l’Occident». Selon lui, ce n’est pas une bonne perspective, car elle forcera Poutine à choisir entre une défaite et une escalade de violence et de destruction. «À mon avis, en tant que dirigeant rationnel, il optera pour cette dernière solution», note l’expert.

«Il pourrait briser un tabou nucléaire»

Dans ce cas de figure, l'expert n’exclut pas l’utilisation d’armes nucléaires par le président russe. «Poutine n’hésitera pas à tuer des gens, même en très grand nombre. Nous l’avons vu à Grozny, nous le voyons à Marioupol, explique Graham Allison. Il s’agit d’un scénario catastrophe, mais il existe.»

Selon lui, l’utilisation d’une bombe nucléaire de petite taille — de 15 ou 20 kilotonnes, ce qui correspond à celle lâchée sur Hiroshima — pourrait tuer de 20’000 à 50’000 personnes, en fonction de la taille de la ville touchée. «Il existe un tabou nucléaire depuis 70 ans, analyse Graham Allison. Si Poutine le brise, nous entrerions dans une nouvelle réalité.»

L’expert estime toutefois que les États-Unis ou l’OTAN ne feront pas usage de leurs armes nucléaires, même tactiques. Il considère que les Américains pourraient toutefois tenter de détruire les bases de lancement de missiles russes. «Si cela arrive, nous verrons des Américains tuer des Russes pour la première fois», souligne le politologue.

«Tenter le diable n’est pas raisonnable»

Graham Allison espère qu’une autre issue sera trouvée et que les tueries prendront fin au plus vite. «Les gens pensent désormais que Poutine est un démon, mais il agit encore de manière tout à fait rationnelle, souligne-t-il. Il faut qu’il offre quelque chose à son peuple qui lui permette de se sauver la face. Quelque chose dont il puisse tirer un narratif auprès de l’opinion publique, mais aussi pour lui-même.»

L'expert américain offre ainsi quelques pistes de la manière dont Vladimir Poutine pourrait tourner la situation à son avantage: «Par exemple, en expliquant avoir consolidé son contrôle sur le Donbass et en ayant établi un pont terrestre avec la Crimée. Ou encore que l’Ukraine ne deviendra pas membre de l’OTAN avant longtemps. Dans tous les cas, Poutine devra trouver une raison pour pouvoir arrêter la guerre sans perdre la face.»

Graham Allison ne croit cependant pas que les menaces de Poutine ne sont qu’une manœuvre sans conséquence pour arriver à ses fins: «Cette analyse provient souvent de personnes qui ne savent pas vraiment à qui elles ont affaire. Il n’est pas raisonnable de tenter le diable.»

Après la Russie, la Chine

Pour étayer son argumentation, Graham Allison n’hésite pas à comparer la situation à la Guerre froide et à puiser dans les métaphores religieuses.: «La Guerre froide nous a appris que nous ne pouvons survivre qu’ensemble. Soit la foudre frappera Poutine avec l’aide de Dieu, ce qui me réjouirait, soit la guerre se terminera avec ce démon.»

Dans tous les cas, Poutine semble physiquement affaibli. Vu son âge, 69 ans, on peut penser que les jours du président russe sont comptés. Que se passera-t-il ensuite? L’expert pense que le vrai danger se trouve plus à l’est encore: «Nous allons entrer dans une ère confuse où la Chine sera la plus grande menace. Cette puissance montante va changer l’ordre mondial et défier les États-Unis comme puissance établie.»

D’ici-là, la Russie devrait rester un facteur de perturbation pour l’Europe. Cependant, «la population russe pourrait prendre conscience, en voyant l’unité européenne face au Kremlin, que le pays va vers une impasse».

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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