Missiles hypersoniques, bombes au phosphore, têtes nucléaires: l’arsenal de la Russie est vaste et dangereux. Le président Vladimir Poutine sort désormais une tout autre carte de son jeu: la menace d’une famine mondiale.
En Ukraine, les Russes retiennent volontairement près de 20 millions de tonnes de céréales – dont la plus grande partie se trouve dans la ville portuaire d’Odessa. Cette stratégie est condamnée à l’international. Mercredi, lors d’un déplacement à New York, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a notamment asséné: «En bloquant les ports ukrainiens, en détruisant les silos, les routes et les chemins de fer et surtout les champs des agriculteurs, la Russie a lancé une guerre du blé qui entraînera une crise alimentaire mondiale.»
Dépendant des exportations ukrainiennes
Ce sont surtout les classes les plus pauvres qui sont touchées par ce blocus. «Des pays comme l’Égypte, le Kenya, le Soudan du Sud, le Liban, entre autres, étaient jusqu’à présent fortement dépendants, directement ou indirectement, des exportations russes et ukrainiennes, a rappelé Mathias Mogge, secrétaire général de l’ONG Welthungerhilfe. Ces pays ne reçoivent désormais plus les quantités commandées ou doivent payer beaucoup plus cher.»
La Somalie, qui connaît une sécheresse exceptionnelle, est particulièrement touchée. Le Premier ministre somalien, Mohamed Hussein Roble, a récemment déclaré: «Le monde nous a oubliés. Nous nous attendons à une famine.»
Pour le peuple ukrainien, cette nouvelle menace rappelle un sombre épisode de son histoire, le Holodomor (littéralement, «extermination par la faim»). Entre 1932 et 1933, les Soviétiques ont pillé les champs et les maisons du pays. En conséquence, la population a été confrontée à une famine de très grande ampleur. Selon les estimations, 3 à 7 millions de personnes sont mortes de faim à l’époque. Encore aujourd’hui, la Russie n’a pas reconnu le caractère génocidaire de cet épisode.
Pas une stratégie récente
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a mis en garde mercredi contre le «spectre de pénuries alimentaires mondiales dans les mois à venir», implorant la Russie de libérer les exportations de céréales ukrainiennes et l’Occident d’ouvrir l’accès des engrais russes aux marchés mondiaux. La guerre déclenchée par la Russie risque de plonger des millions de personnes dans l’insécurité alimentaire et de déclencher une crise «qui pourrait durer des années», a-t-il prévenu. Conjointement, l’Ukraine et la Russie produisent près d’un tiers du blé et de l’orge mondial, ainsi que la moitié de l’huile de tournesol.
Le fait de délibérément affamer une population est loin d’être un phénomène nouveau, détaille l’ONG allemande Welthungerhilfe dans son journal spécialisé: «C’est une pratique répandue, surtout au Moyen-Âge.» Mais ce qui change à notre époque, c’est que cette stratégie est responsable de la réapparition des famines – comme au Myanmar, en Syrie et au Soudan du Sud – et, plus généralement, de l’augmentation de la faim dans le monde.
Des millions d’enfants menacés de mort
Selon les Nations Unies, la faim dans le monde a atteint un nouveau sommet: «En seulement deux ans, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire grave a doublé, passant de 135 millions avant la pandémie à 276 millions aujourd’hui», a souligné António Guterres. Plus d’un demi-million de personnes connaissant des conditions de famine aiguë, soit cinq fois plus qu’en 2016. Outre la pandémie de Covid-19, la crise climatique et la guerre en Ukraine auraient récemment aggravé la situation.
Jeudi, l’ONG chrétienne World Vision a déclaré «l’état de catastrophe majeure» en raison de la crise alimentaire mondiale. «Des millions d’enfants souffrent de malnutrition et pourraient mourir de faim dans les semaines à venir», prévient l’organisation dans un communiqué.
(Adaptation par Jessica Chautems)