Dimanche prochain sera un jour historique pour l'Europe. Le 22 janvier, il y a 60 ans, l'Allemagne et la France ont signé le traité de l'Elysée, qui a scellé l'amitié entre les deux pays après la Seconde Guerre mondiale.
Le chancelier Olaf Scholz et le président Emmanuel Macron vont célébrer cet anniversaire comme il se doit lors d'une cérémonie à l'Université de la Sorbonne à Paris.
Seulement voilà: cette amitié tant vantée se fissure. Ainsi, Gilbert Casasus, professeur émérite d'études européennes et fin connaisseur du traité de l'Elysée, déclare à Blick: «Les relations franco-allemandes traversent une crise sérieuse.»
L'influence américaine s'accroît
Le conflit serait dû à des positions différentes en matière de politique européenne ainsi qu'à un changement de génération. «Alors que Paris s'inquiète à juste titre de la renaissance de l'influence pro-américaine en Allemagne, une nouvelle génération d'hommes et de femmes politiques allemands se distancie du caractère intergouvernemental exemplaire de la coopération franco-allemande en Europe», indique Gilbert Casasus.
Cela concernerait notamment les Verts allemands, qui rejettent de plus en plus les valeurs françaises au profit d'un modèle de société anglo-saxon. «La France a clairement perdu de son attractivité en Allemagne», continue l'expert.
De plus, les deux Etats sont confrontés à des situations de départ très différentes, ajoute-t-il. Ainsi, Olaf Scholz peut compter sur une majorité gouvernementale relativement stable, que le parti d'Emmanuel Macron n'a pas réussi à obtenir lors des élections législatives du printemps 2022.
Les chefs de gouvernement eux-mêmes ne se rencontrent pas non plus sur un pied d'égalité. «Macron, en tant qu'élève modèle de l'élitisme républicain français, est intellectuellement et culturellement bien supérieur à Olaf Scholz. En outre, il dispose de talents d'homme d'Etat et de rhétorique qui s'expriment moins chez Olaf Scholz», estime Gilbert Casasus.
Plusieurs points de désaccord
Le conflit s'est également manifesté publiquement à plusieurs reprises au cours des dernières années. Si, en Europe, c'est surtout l'Allemagne qui donnait les impulsions jusqu'à présent, la France appuie désormais beaucoup plus sur la pédale. Gilbert Casasus cite les points de désaccord suivants:
Après son discours pro-européen du 26 septembre 2017 à la Sorbonne, Emmanuel Macron attend toujours une réponse allemande satisfaisante. Le président français avait plaidé à Paris pour la refondation d'une Europe souveraine, unie et démocratique.
En mars 2019, Annegret Kramp-Karrenbauer, alors présidente de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU), avait mis Paris dans l'embarras en opposant un refus catégorique à la proposition française d'une armée européenne.
Le 29 août 2022, le chancelier Olaf Scholz avait plaidé dans son discours sur l'Europe à Prague pour un élargissement de l'UE à 36 Etats, ce que Paris avait rejeté comme une chimère, sans réforme préalable de l'UE.
De plus, certaines décisions nationales en matière de politique énergétique et militaire entraînent une perte de confiance mutuelle. Ainsi, l'Allemagne continue à promouvoir le charbon, alors que la France mise sur le nucléaire. Et la France est irritée parce que l'Allemagne veut acheter des systèmes d'armes américains.
Sans amitié, l'UE est paralysée
Pourtant, l'amitié entre la France et l'Allemagne est d'une grande importance pour la stabilité en Europe. «Les relations franco-allemandes sont depuis longtemps devenues un indicateur de l'état de l'Union européenne: plus la coopération fonctionne bien, plus l'UE est capable d'agir», souligne Gilbert Casasus.
Selon lui, toutes les tentatives, généralement à court terme, de fixer les priorités sur d'autres pays, ont échoué - comme le rapprochement de l'ancien chancelier Gerhard Schröder avec la Grande-Bretagne, ou celui de l'ancien président François Hollande avec les pays du pourtour méditerranéen.
Eviter la pensée anglo-saxonne
Pour rétablir leur amitié, les deux gouvernements devraient surmonter leurs divergences. Cela concerne, selon Gilbert Casasus, des projets de politique de défense tels qu'un système de combat aérien commun, une restructuration de l'approvisionnement en énergie ainsi que des approches de solutions pour le maintien de la paix régionale. Les deux gouvernements devraient également soumettre une proposition ambitieuse à leurs partenaires européens dans les domaines du climat, de l'immigration et de la politique sociale.
Une autre clé de la relance de l'amitié est la langue. Gilbert Casasus demande que les deux pays s'engagent au plus vite en faveur d'une politique d'enseignement et linguistique déterminée et urgente, «afin que les langues culturelles que sont le français et l'allemand dans l'espace européen ne soient pas encore plus dramatiquement victimes de la pensée anglaise ou américaine».
«Même si je m'inquiète actuellement de l'état des relations franco-allemandes, il faut constater qu'il s'agit d'une histoire de réussite européenne unique et incomparable», nuance enfin l'expert.