L'ambassadeur du Kazakhstan à Berne
«Les fauteurs de troubles sont des terroristes»

Une vague d'émeutes sans précédent contre les dirigeants touche l'ex-république soviétique du Kazakhstan. Dans une interview avec Blick, l'ambassadeur du Kazakhstan à Berne évoque les émeutes - et rejette la faute sur «les extrémistes».
Publié: 08.01.2022 à 19:17 heures
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Alibek Bakayev est l'ambassadeur du Kazakhstan en Suisse.
Photo: MICHELE LIMINA
Fabienne Kinzelmann

Les images sont glaçantes: le Kazakhstan est en feu, mais peu d’informations filtrent. Internet est coupé, les médias kazakhs sont difficilement accessibles depuis la Suisse. Selon le ministère de l’Intérieur, au moins 26 manifestants ont été tués et plus de 3000 personnes ont été arrêtées lors des émeutes de ces derniers jours.

Que se passe-t-il vraiment dans l’ex-république soviétique? Alibek Bakayev, ambassadeur du Kazakhstan à Berne, réagit à la demande de Blick. C’est un diplomate aimable, visiblement heureux de discuter de la situation. «Je réponds volontiers à toutes les questions. Ce qui m’importe, c’est l’objectivité», souligne-t-il dans un allemand parfait. Il répond aux questions de Blick par écrans interposés.

Monsieur l’ambassadeur, que se passe-t-il actuellement dans votre pays?
Alibek Bakayev:
Le prix du gaz russe a doublé le 2 janvier, passant de 60 tenge par litre – soit environ 10 centimes – à 120. Je pense que cela est lié au prix sur le marché mondial. Dans l’ouest du Kazakhstan, les gens sont descendus dans la rue pour protester contre le prix du gaz et le gouvernement. Je le comprends, car les gens dépendent de leurs voitures et de leurs camions.

Il y a déjà eu des protestations les années précédentes. Les sols du Kazakhstan sont riches en pétrole et en gaz, mais la population ne peut pas en profiter.
Ce n’est pas comparable. Cette fois, toutes les revendications des manifestants ont été rapidement satisfaites. Le président a limogé le gouvernement et a fait en sorte que le prix du gaz soit réduit à 50 tenges. C’est même moins qu’auparavant. Malgré cela, des centaines de personnes se sont rassemblées et le mouvement protestataire s’est ensuite étendu à d’autres villes, notamment à Almaty.

Et vous ne pouvez pas en expliquer la raison – par exemple que les ministres licenciés ne sont de toute façon que des pions, car ils n’ont pratiquement rien à dire au sein du système présidentiel?
Il y avait les manifestants pacifiques, dont les revendications ont été satisfaites. Désormais, il s’agit de groupes qui n’ont pas d’objectifs concrets ni de revendications. Ils se contentent de détruire. Ils se sont emparés d’un aéroport, ont mis le feu à la municipalité, ont dégradé du matériel de police et ont volé des armes.

Et c’est pour cela que le président Kassym-Shomart Tokayev a appelé la Russie à l’aide pour réprimer les manifestants?
C’est une conclusion erronée. Le Kazakhstan est un membre à part entière de l’Organisation du traité de sécurité collective, l’OTSC, qui comprend, outre la Russie, la Biélorussie, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Arménie. L’organisation est actuellement dirigée par l’Arménie.

Mais de facto, c’est Poutine qui est actuellement en charge de la sécurité.
Que les choses soient claires: Le Kazakhstan est indépendant de la Russie. Presque tous les pays de l’organisation ont envoyé des forces d’intervention au Kazakhstan, même la petite Arménie a envoyé 70 soldats. Ce n’est pas non plus une question de nombre. L’essentiel est qu’il s’agit d’une organisation avec ses propres règles. Des discussions ont été menées au sein de l’organisation, puis une décision commune a été prise de soutenir le Kazakhstan. Il est absolument faux de dire que ce sont uniquement «les Russes», comme je l’entends régulièrement de la part des journalistes.

Mais au final, ce sont quand même les Russes qui interviennent - comme en Biélorussie par exemple.
La Biélorussie ne s’est pas tournée vers l’OTSC, nous si. C’était une agression contre le Kazakhstan, et c’est pourquoi nous avons cherché de l’aide auprès de nos alliés.

Et pour que le monde n’assiste pas à l’escalade de la violence, vous avez coupé Internet?
Internet a été coupé, mais pas pour de longues périodes. Ce nouveau groupe de manifestants, surtout à Almaty, est composé par des extrémistes. Pas des manifestants pacifiques. Et ils sont menés de manière très orientée. La coupure d’Internet est donc une mesure très importante pour limiter les communications des groupes terroristes.

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Internet est toutefois coupé depuis trois jours déjà. Les Kazakhs à l’étranger ne peuvent pas joindre leurs familles et leurs amis, les médias indépendants ne peuvent que difficilement couvrir les protestations.
Ce n’est pas le cas. En dehors d’Almaty, Internet fonctionne.

Quand est-ce que cela reviendra à la normale?
Internet à Almaty est coupé de manière intermittente, pendant trois ou quatre heures, mais il est ensuite remis en marche pour permettre à la population de communiquer avec leurs proches. Je ne suis pas sur place, mais je suppose qu’il est toujours coupé au moment où une opération commence, afin de faire respecter le droit de la majorité, le droit à la sécurité et à l’ordre.

Le dirigeant de longue date Noursoultan Nazarbaïev, qui continuait à tirer les ficelles en coulisses depuis sa démission en 2019 et dirigeait notamment les services secrets, a démissionné de la présidence du Conseil de sécurité à la suite de l’escalade de violence. Où se trouve-t-il?
Je n’en ai aucune idée. Après tout, je suis comme vous en Suisse. J’ai le même problème avec Internet. J’ai de la famille à Almaty, ma sœur y vit avec sa famille. Mais je pars du principe qu’il est au Kazakhstan, dans la capitale.

On dit qu’il s’est enfui.
Personnellement, je n’en sais rien, je n’ai aucune information.

Des membres de sa famille possèdent des villas au bord du lac Léman. Pourrait-il également se trouver en Suisse?
Théoriquement, cela est plausible. Il est libre et peut voyager dans le monde entier tant qu’il a un visa. D’un point de vue purement protocolaire, l’ambassade devrait toutefois être informée s’il prévoit une visite. Dans ce cas, je n’ai reçu aucun signalement de la part de la capitale, et il ne peut pas non plus entrer en voiture. Demandez plutôt aux agents de la police des frontières à Genève, ils savent mieux que moi qui entre et qui sort.

Le président Tokaïev a dit que tout était sous contrôle. Mais il y a eu de nouveaux affrontements armés. Comment les choses vont-elles évoluer au Kazakhstan?
Je pars du principe que la sécurité et l’ordre seront très bientôt rétablis. Tout à l’heure, le président s’est adressé à la population avec un message clair: désormais, il se montrera plus ferme.

Il a décrété l’ordre de tirer. Les forces de sécurité peuvent désormais tirer sans sommation.
Le président a parlé de 20’000 terroristes qui ont attaqué Almaty. 20’000 individus qui sont formés, préparés et qui sont dirigés de manière ciblée. C’est évidemment un défi pour les services de sécurité.

Quand vous dites «dirigés de manière ciblée», qui sous-entendez-vous?
C’est une question encore ouverte. Nos autorités sont en train de travailler sur ce point. Mais le mouvement est organisé, et je pars du principe que ces regroupements ont certains objectifs économiques et politiques.

Comme vous en parlez, cela donne l’impression que vous avez une idée de qui se cache derrière ces mouvements contestataires.
Aucun nom n’a été cité jusqu’à présent. Mais il s’agit probablement d’organisations qui ont des objectifs séparatistes.

Quelles organisations?
Nous cherchons à le déterminer. Je suppose que d’ici ce soir, nous saurons de qui il s’agit. Mais l’essentiel est que la situation se stabilise au Kazakhstan en général, et à Almaty en particulier. Le président a la situation en main, sous contrôle. Nous n’avons désormais plus que le problème de ces groupes de terroristes, mais cela aussi sera bientôt terminé.

Et quand les soldats étrangers partiront-ils?
Je ne peux pas le dire exactement, mais j’ai lu que les troupes seraient bientôt renvoyées chez elles. Et pour être clair, une mauvaise interprétation des faits a été diffusée: les troupes russes ne sont pas venues au Kazakhstan pour arrêter des manifestants pacifiques.

Pourtant des images et des vidéos montrent des soldats qui interviennent lors de manifestations.
Ce ne sont pas des soldats russes.

Alors qui sont-ils?
Nous avons des policiers militaires, tout comme l’Italie ou la France.

Ce sont donc vos propres hommes qui répriment les manifestants, et les Russes se contentent de rester à côté?
C’est une autre interprétation. Les manifestants pacifiques sont déjà rentrés chez eux depuis longtemps, ils ont trouvé satisfaction. Les opérations sont désormais dirigées contre les terroristes, les extrémistes, qui détruisent tout dans les environs. La mission principale des militaires est de protéger les bâtiments: le palais présidentiel, les bâtiments administratifs, le bâtiment du parquet.

(Adaptation par Jessica Chautems)


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