L'alpiniste Raphael Wellig après le drame du K2
«En Suisse aussi, les mœurs se brutalisent en montagne»

Des scènes «inhumaines» ont été observées lors de l'ascension du K2. Plusieurs personnes ont enjambé un homme mourant sans lui venir en aide. L'alpiniste bernois Raphael Wellig parle également d'une indifférence grandissante dans le milieu de l'alpinisme en Suisse.
Publié: 10.08.2023 à 17:05 heures
1/5
L'alpiniste Raphael Wellig parle d'une brutalisation des mœurs en montagne, qui a eu lieu ces dernières années.
Photo: Zvg
RMS_Portrait_AUTOR_1062.JPG
Qendresa Llugiqi

Des scènes dramatiques se sont déroulées fin juillet sur le deuxième plus haut sommet du monde, le K2. Dans une vidéo tournée sur le sommet, on y voit une cinquantaine d'alpinistes enjamber un homme mourant pour atteindre le sommet de la montagne de 8611 mètres. L'alpiniste autrichien Wilhelm Steindl critique vivement ce comportement: il parle de scènes «inhumaines».

L'alpiniste suisse Raphael Wellig a lui aussi visionné la vidéo montrant les scènes filmées à 8200 mètres d'altitude. «Voir une telle chose est indescriptiblement dur» confie-t-il. L'expert a lui-même été surpris par une avalanche en 2019 sur la montagne du Grammont dans le canton du Valais et a dû être sauvé de la neige. Malgré cette expérience marquante, il passe environ 80 jours par an en montagne.

Les alpinistes deviennent de plus en plus égoïstes

En raison des grandes difficultés rencontrées lors des sauvetages en haute altitude, Raphael Wellig constate: «là-haut, certains alpinistes ne veulent ou ne peuvent pas du tout mettre leur propre vie en danger pour un autre être humain.»

L'alpiniste expérimenté émet toutefois aussi des critiques. «De nombreux alpinistes deviennent égoïstes, surtout sur des montagnes aussi hautes. Ils n'ont qu'un seul objectif, dans lequel ils ont investi beaucoup de temps et souvent aussi beaucoup d'argent.» Pour beaucoup, il n'est pas question d'aider quelqu'un et de sacrifier leur réussite de l'ascension du sommet. «Pour atteindre leur objectif, ils vont même jusqu'à marcher sur des cadavres, comme on le voit d'ailleurs sur cette vidéo.»

L'expert parle d'une tendance négative chez les alpinistes. «De plus en plus d'alpinistes ne se préoccupent que de leur propre ego, de leur réalisation personnelle et de leur like. Certains fonctionnent déjà comme des influenceurs», explique-t-il avant d'ajouter: «En Suisse aussi, les mœurs en montagne se brutalisent.»

La concurrence fait rage

Raphael Wellig constate régulièrement que l'on ne fait plus attention aux autres alpinistes: «Autrefois, on s'écartait lorsqu'il y avait de la bousculade sur une montagne ou on se comportait de manière plus attentive. On ne s'appuyait par exemple pas sur la corde de l'autre. Aujourd'hui, cela n'existe presque plus.» Là où la camaraderie comptait autrefois, on y trouve aujourd'hui de la concurrence. «Surtout pendant la haute saison, qui est actuellement en cours, toutes les inhibitions tombent. En Suisse, il y a une véritable ruée vers les sommets de 4000 mètres, surtout vers les points chauds comme le Cervin, le Dom, la Pointe Dufour et l'Alphubel», explique le professionnel. «Les refuges sont pleins, il y a une énorme demande. Tout le monde est stressé.»

A tel point que même dans des situations exceptionnelles, les alpinistes ne se comportent plus de manière décente. «On ne reçoit même pas de remerciements quand on aide quelqu'un d'une manière ou d'une autre ou quand on appelle l'hélicoptère pour une personne en détresse», déclare Raphael Wellig. Il estime que le respect s'est perdu. L'alpinisme devient de plus en plus populaire, ce qui amène par conséquent des effets négatifs. «Il y a beaucoup d'alpinistes inexpérimentés qui pensent qu'on peut acheter une expérience pour impressionner son entourage.»

Des conditions difficiles

L'alpiniste dit comprendre pourquoi cette scène du K2 a été vivement critiquée, mais selon lui: «Tout alpiniste expérimenté s'attend à ne pas revenir vivant d'une telle ascension et sait qu'à partir d'une certaine altitude, soit environ 7000 mètres, il est livré à lui-même.» A partir de 7000 mètres d'altitude, on parle même de zone de mort.

Un sauvetage est presque impossible à cette altitude: «La zone est extrêmement délicate, les conditions difficiles. Même les sherpas ont du mal», explique Raphael Wellig. Il ne voit une chance que si un groupe plus important et expérimenté se réunit.

En 1988, l'alpiniste bernois a fait l'expérience de la dureté d'un sauvetage en haute altitude sur le Gasherbrum II (8035 m d'altitude) au Pakistan. Ce dernier se souvient: «Avec deux collègues, j'ai pu sauver un homme qui avait souffert d'un œdème cérébral à environ 7000 mètres d'altitude.» L'homme était encore en capacité de marcher, mais l'alpiniste et ses collègues ont mis 22 heures pour le ramener au camp de base, à environ 5000 mètres.

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la