Vladimir Poutine brûlait sans doute de la reconquérir. Port stratégique sur la mer Noire, ville russe fondée par Catherine II au XVIIIe siècle, Odessa et son million d’habitants auraient été, pour le Kremlin, le trophée parfait d’une guerre victorieuse remportée par l’armée russe.
Lundi 1er août, le spectacle du cargo Razoni quittant le port ukrainien avec, à son bord, 26'000 tonnes de maïs a toutefois envoyé un tout autre signal. Si le texte paraphé à Istanbul le 22 juillet par la Russie et l’Ukraine sous supervision de l’ONU est bien appliqué, une vingtaine d’autres navires marchands prendront le large dans les prochains jours depuis ses quais, les soutes remplies de céréales.
Le grand port de la mer Noire, qui redoutait jusque-là l’assaut et les missiles russes, pourra se remettre à rêver d’échapper aux destructions qui touchent en ce moment Mikolaïv, à 130 kilomètres de là. Comme si le destin de la ville, in extremis, était d’incarner la paix possible. Comme elle incarna jadis, à l’époque du film «Le Cuirassé Potemkine» sorti en 1925, la révolte du peuple russe opprimé et libéré par les soviets.
Le syndrome Marioupol
Odessa sous les bombes, aplatie comme le port de Marioupol où le Kremlin promet aujourd’hui de rebâtir les premiers bâtiments d’ici septembre? Tout le monde le redoutait encore voici quelques semaines, à l’orée de l’été. Un objectif, à tous points de vue, prioritaire pour Vladimir Poutine qui, s’il parvenait à contrôler ce verrou portuaire, priverait l’Ukraine de l’accès à la mer Noire, soumise à la domination navale russe.
Sauf que la ville dominée par une statue du Duc de Richelieu (1766-1822) qui en fut le gouverneur Russe de 1805 à 1814, n’a pas craqué sous les menaces et les bombardements survenus depuis le déclenchement de la guerre, le 24 février. Sur la grande avenue Deribasovskaia, les barrages de barbelés et les herses anti-véhicules restent, depuis des semaines, plantées en attendant le pire. Mais c’est sous la terre que le nouveau visage de la ville s’est manifesté: dans les catacombes qui pourraient, en cas de combat, devenir un cimetière pour les soldats russes.
Un dédale de souterrains
Ces catacombes sont l’autre face de la ville. Coté mer, Odessa est ce port marchand auquel la reprise des exportations de céréales rend sa vocation première. Coté face, la ville est un dédale de souterrains dont beaucoup remontent à sa fondation. La «coquina», la roche sédimentaire locale, a été creusée, à l’époque, par les ingénieurs russes. Résultat: plus de 2.500 kilomètres de tunnels, sous la ville ou dans ses environs immédiats, sur trois niveaux jusqu’à soixante mètres.
Un complexe encore plus difficile à prendre que la fameuse aciérie Azovstal de Marioupol, où les soldats ukrainiens du bataillon Azov ont résisté plusieurs semaines. Un millier d’entrées et sorties pourraient permettre, en cas de siège, d’y acheminer armes, matériels et vivres. Vladimir Poutine, si nostalgique de la grandeur soviétique, en connaît sans doute les plans. Durant la seconde guerre mondiale, les partisans du héros national Vladimir Molodtsov Badayev, y menèrent pendant des mois des combats acharnés.
Sur la mer, la reprise d’exportations céréalières attendues par des pays tels que le Liban ou l’Egypte. Sous terre, la capacité de mener une résistance sans merci. Avec l’accord entre la Russie et l’Ukraine, Odessa revit et a repris espoir. Mais sous terre, ses habitants préparent toujours la guerre.